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Coronavirus : le modèle de l'open space doit-il être remis en question ?

Les mesures sanitaires mises en place pour lutter contre le coronavirus sont plus contraignantes dans un espace ouvert qui favorise la promiscuité comme l'open space.[GUILLAUME SOUVANT / AFP]

C'est la règle : pour lutter contre la pandémie, les travailleurs français doivent porter un masque sur leur lieu de travail. Ceux qui disposent d'un bureau individuel sont exemptés mais représentent un public très restreint à l'heure où l'open space est souvent la règle. Cette forme d'organisation du travail, qui se veut ouverte et participative, doit-elle être remise en question face à la pandémie ?

A priori, l'open space ne semble pas l'environnement idéal pour empêcher la propagation d'un virus, puisqu'il favorise la promiscuité et complique le contrôle des flux et déplacements. La distanciation physique ne peut pas toujours y être respectée et, s'il fait intervenir du flex office (l'absence de poste de travail attitré), il implique des contraintes de nettoyage conséquentes pour éviter les contaminations.

Résultat : le port obligatoire du masque s'est imposé comme seule solution, ce qui «rend la pratique de l'open space plutôt désagréable», selon Fanny Lederlin, auteur du livre «Les dépossédés de l'open space - Une critique écologique du travail». En réalité, ces grands espaces collectifs étaient «déjà sources de mal-être avant le déclenchement de la crise», assure la doctorante en philosophie. On leur reprochait leur caractère bruyant, les difficultés de concentration engendrées, le manque d'intimité et de confidentialité.

Alors, la pandémie et les exigences sanitaires qui l'accompagnent sont-elles l'argument de trop, celui qui causera la perte de l'open space ? En tout cas Eric Liehrmann, responsable du pôle «approche globale des situations de travail» à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), ne croit pas à un «retour en arrière», avec un bureau fixe et individuel pour chacun. «Spatialement ce serait compliqué puisque ça prend plus de place», justifie-t-il.

Pendant le confinement, le télétravail est apparu comme une alternative sérieuse, venant interroger la pertinence du travail en présentiel. Il présente l'avantage non négligeable d'éloigner purement et simplement les salariés du risque pandémique en les gardant chez eux ou, au moins, de faire en sorte qu'ils ne soient pas tous sur site en même temps.

Sauf que la solution miracle n'existe pas et le télétravail a, lui aussi, ses limites. Surtout que, selon Laetitia Lecomte-Jost, ergonome, il est actuellement «subi». «Dans beaucoup d'entreprises, il a été mis en place de manière totalement précipitée, sans avoir les prérequis nécessaires. Il s'est installé bon gré mal gré, pour gagner en souplesse, mais sans se demander s'il convient à toutes les activités ou si chaque salarié peut le faire dans des conditions satisfaisantes», déplore-t-elle.

Un constat partagé par Amandine Brugière, responsable du département «Etudes, capitalisation et prospective» de l'Association nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Elle souligne que le télétravail peut «créer des inégalités qu'il n'y a pas en travaillant sur site», liées à «la configuration de l'espace, la taille de l'habitat, la qualité de la connexion internet ou la présence de personnes tierces au domicile». Se pose également le problème de la «conciliation des temps», entre vie privée et professionnelle, et celui du maintien d'une dynamique collective, à distance.

L'open space n'a donc pas dit son dernier mot mais, avec la pandémie, il ne se suffit plus à lui-même. Il est couplé avec le télétravail que l'on est «obligé de prendre en compte» selon Fanny Lederlin, puisqu'il est «plebiscité par les salariés». Au final, il n'y a donc pas de refonte profonde de l'organisation du travail à l'heure actuelle : on se contente d'adapter ce dont on dispose déjà, la réaction prenant le pas sur la réflexion.

Distanciation, renouvellement de l'air et nettoyage

«Chaque entreprise a mis en place un plan de reprise en accord avec le protocole sanitaire, explique Eric Liehrmann. Il repose sur certains critères comme la gestion de la distanciation, le renouvellement de l'air ou l'organisation du nettoyage». Cela implique, pêle-mêle, d'instaurer des sens de circulation, de limiter le nombre de personnes dans les ascenseurs, d'installer des cloisons en plexiglas, de veiller à l'entretien du système de ventilation ou encore de renforcer la fréquence des désinfections. Et d'imposer le port du masque, bien sûr.

Pour l'instant et faute d'avoir vraiment le choix, tout le monde s'accommode de ces mesures qui permettent à l'open space de tenir tête à la pandémie. Mais pour combien de temps ? En étant dans la réaction, «on fait des choix dont on mesure la difficulté de gestion, qui n'est pas souhaitable à long terme, estime Eric Liehrmann. Le port du masque en continu pendant huit heures d'affilée par exemple, ça ne peut être qu'une réponse ponctuelle» et ce, même si les salariés échappent au présentiel quelques jours par semaine grâce au télétravail.

«Nous sommes encore dans un contexte de crise, la véritable question est de savoir quel impact tout cela aura à plus long terme», indique le responsable de pôle à l'INRS. Il pense que les exigences sanitaires vont s'inscrire durablement dans les «référentiels sur lesquels on s'appuie pour définir les normes qui conditionnent la conception des espaces de travail». Concrètement, les locaux professionnels pourraient, à l'avenir, être tous construits de manière à limiter, si besoin, la propagation d'un virus. En prenant la distanciation en compte dans leur structure même ou en intégrant des dispositifs tels que «des interrupteurs à détection de présence ou des portes à ouverture automatique» par exemple.

Le risque est que ces considérations hygiénistes n'engendrent que des contraintes, «sans espace de réflexion». «L'approche sanitaire et sécuritaire ne doit pas dissimuler les véritables enjeux» : plus que les espaces de travail, la pandémie a modifié les attentes des travailleurs qui, selon Fanny Lederlin, ont vécu «une sorte de choc existentiel». La doctorante en philosophie estime que la crise nous «donne une occasion précieuse» de bousculer les modèles établis. Ainsi, au delà de savoir si l'open space peut survivre à la pandémie, il s'agit plus largement de «repenser le travail tout court» et ce qu'on attend de lui.

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