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Inégalités : plus de la moitié des pauvres ont moins de 30 ans en France

Alors que 700.000 jeunes entrent chaque année sur le marché du travail, les perspectives, Covid oblige, s'annoncent particulièrement sombres. [Photo d'illustration / PHILIPPE HUGUEN / AFP].

Dans la deuxième édition de son «rapport sur la pauvreté en France», rendu public ce jeudi 26 novembre, l'Observatoire des inégalités consacre un chapitre particulier à la pauvreté des jeunes. En se basant sur des données officielles, il indique ainsi que parmi les cinq millions de pauvres qui vivent dans l'Hexagone, plus de la moitié (51,6 %) sont âgés de moins de 30 ans.

Et si ce chiffre-choc vient frapper les esprits, l’Observatoire des inégalités prévient d'emblée que, sans action forte, il va très probablement encore s'aggraver à l'avenir.

UN ÉTAT DES LIEUX ÉTABLI AVANT LA CRISE SANITAIRE

Car si l'étude est publiée en pleine pandémie de coronavirus, les données qu'elle contient - bien que majoritairement récentes - ont en effet été établies avant la crise sanitaire.

«Elles datent au mieux de 2017», écrit ainsi l'organisme indépendant fondé en 2003 par le journaliste économique Louis Maurin. Mais, ajoute-t-il, «pour mieux comprendre ce qui est en train de se jouer aujourd’hui», il est nécessaire de «décrire la situation peu favorable dans laquelle la jeunesse se trouvait déjà avant».

Ce préalable posé, l'alerte lancée par l'Observatoire des inégalités est claire : «il y a malheureusement fort à parier qu’en 2023, quand on pourra observer le détail de ce qui se joue aujourd’hui dans les statistiques publiques sur les revenus et la pauvreté, les chiffres seront encore davantage dégradés».

Un seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian

Avant de se pencher sur les chiffres et l'analyse détaillés, les auteurs indiquent également qu'ils ont préféré utiliser un seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian.

Un choix délibéré, plus faible que le seuil de 60 % qui est le plus souvent utilisé, mais qui, disent-ils, «permet d'établir un focus sur des populations en grande difficulté», dont les jeunes.

Ce faisant, si le rapport aboutit à un nombre de pauvres presque deux fois moins élevé (cinq millions contre le chiffre de neuf millions parfois relayé dans la presse), il ambitionne d'en fournir une lecture beaucoup plus fine. 

Avant la crise sanitaire, on comptait donc concrètement, en France, 5,3 millions de pauvres au seuil de pauvreté fixé à 50 % du niveau de vie médian (885 euros par mois pour une personne seule, contre 1.000 euros mensuels pour le seuil de pauvreté de 60 %).

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[Rapport sur la pauvreté en France, 2e édition 2020-2021]

Parmi ces cinq millions de personnes pauvres, près d’un tiers (30,7 %) sont des enfants et des adolescents. Plus de la moitié (51,6 %, soit 2,6 millions de personnes) a moins de 30 ans.

L'Observatoire des inégalités souligne que si la pauvreté touche en premier lieu les enfants, les adolescents et les jeunes adultes (18-29 ans) cela tient à deux facteurs principaux. D’un côté, on trouve de jeunes adultes souvent en difficulté d’insertion sur le marché du travail et, de l’autre, des enfants de familles pauvres. 

«Le taux de pauvreté est maximal entre 18 et 29 ans du fait de l’ampleur du chômage, des bas salaires et de la précarité de l’emploi. Cette tranche d’âge est aussi la plus touchée aujourd’hui par la crise économique qui suit la crise sanitaire», détaille le rapport.

Des fragilités qui vont s'accentuer avec le Covid

Or, insiste le document, la crise sanitaire du Covid-19 et les confinements successifs qui l'ont accompagné - surtout celui du printemps - ont provoqué un véritable tremblement de terre sur un terrain déjà très fragile.

En clair, alors que l'épidémie a eu un impact considérable sur l'activité du pays, «les jeunes sont les premiers touchés par le ralentissement économique [...] et si les personnes âgées ont subi les plus lourdes conséquences en termes de santé, les jeunes vont payer l’addition en matière d’emplois et de revenus», avertissent les auteurs.

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[Rapport sur la pauvreté en France, 2e edition 2020-2021]

«D’abord parce qu’ils occupent les emplois les plus précaires et les petits 'jobs' non salariés, et parce que la précarité du travail n’est pas généralisée, elle repose essentiellement sur les épaules des jeunes. Quand la crise est là, ils encaissent donc le choc en premier», expliquent-ils.

A cela, «s’ajoutent les difficultés de formation et d’insertion des nouvelles générations dans un marché du travail déprimé et où les entreprises sont dans la plus totale incertitude quant à leur avenir». 

Par extension, c'est donc l'avenir professionnel même des jeunes qui s'assombrit. En résumé, «chaque année, alors que le marché du travail doit 'absorber' environ 700.000 nouveaux entrants, qui arrivent avec peu d’expérience, cet automne, trouver un premier job va être très compliqué pour eux.»

Une politique gouvernementale jugée trop inégale

Deux jours après l'allocution d'Emmanuel Macron, au cours de laquelle le président de la République a dévoilé les prochaines étapes dans sa gestion de la crise sanitaire, les auteurs du rapport déplorent enfin une politique sociale encore trop inégale, même si, dans le même temps, ils saluent le fait que «les pensions et prestations de retraite ont été maintenues, ainsi que les salaires des fonctionnaires, comme le dispositif généreux de chômage partiel mis en place dans le secteur privé.»

L'un dans l'autre, selon leurs calculs, «80 % de la population n’a ainsi subi de conséquence ou presque en termes de revenus du fait des périodes de confinement [...] Mais pour les 20 % restants, dont les jeunes, les conséquences sont d'un autre ordre», comme évoquées plus haut.

Alors même que de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer plus de solidarité des plus riches vis-à-vis des plus pauvres - à l'instar de l'ancien patron de la SNCF Louis Gallois en passant par l'acteur Vincent Lindon qui plaide pour une taxe Jean Valjean - l'Observatoire des inégalités va dans le même sens.

«La majorité au pouvoir, qui a largement soutenu le niveau de vie des plus riches, continue à faire la sourde oreille aux demandes pour plus de justice sociale, alors même que l’épargne a progressé du fait du confinement», écrit-il.

Un «revenu minimum unique» proposé

Pour les auteurs, «s'il faut ainsi faire feu de tout bois pour sauver le maximum d’emplois, l’ampleur des mesures prises pour préserver de la crise les fonctionnaires et les emplois privés contraste néanmoins avec la faiblesse des efforts en direction des démunis». Selon eux, dans ce contexte «au sommet de l’État, la détresse des jeunes et des familles n’est pas entendue», cinglent-ils.

Face à ce constat, ils viennent toutefois proposer des solutions, dont la mise sur pied «non pas d'un revenu universel (qui bénéficierait à tous, NDLR), mais d'un revenu minimum unique (RMU) qui garantisse la sortie de la pauvreté des plus démunis, notamment les plus jeunes.»

Une proposition qu'ils ont même déjà chiffrée, puisque «selon (leurs) estimations, sept milliards d’euros suffiraient pour créer un revenu minimum unique (RMU) assurant à tous les plus modestes 900 euros par mois pour vivre.»

«Au passage, puisque ce minimum social serait fixé au-delà du seuil de pauvreté de 50 % du niveau de vie médian, le taux de pauvreté serait théoriquement nul et la pauvreté 'éradiquée'», affirment-ils

Concrètement, «ce RMU assurerait principalement une hausse du niveau de vie d’environ 150 euros mensuels en moyenne aux allocataires du RSA ou de l’allocation de solidarité spécifique, ce qui n’est pas rien. Son principal atout serait de permettre enfin aux jeunes de 18 à 24 ans d’obtenir un minimum social qui leur est refusé jusqu’à maintenant, obligeant ceux les plus en difficulté à quémander le soutien de parents ou d’amis, alors que leurs proches sont eux-mêmes souvent très modestes», appuient-ils encore.

Les prochains mois décisifs

De son côté, lors de son allocution, Emmanuel Macron avait rappelé que «de nouvelles aides avaient été décidées dont le versement, à la fin de cette semaine, de 150 euros pour les bénéficiaires du RSA et de l'allocation de solidarité spécifique, ainsi qu'aux étudiants boursiers et aux jeunes de moins de 25 ans touchant les allocations logement». Ce jeudi, le Premier ministre Jean Castex a lui annoncé le versement d'une aide de 900 euros au travailleurs précaires, jusqu'en février.

Mais ces coups de pouce ne sont qu'éphémères, alors que le RMU proposé par l'Observatoire des inégalités constituerait, lui, un dispositif, certes sous critères, mais pérenne.

Le pari fait jusqu'à présent par le gouvernement consiste en tout cas plutôt à croire en une reprise économique qu'il espère rapide, notamment grâce à l'arrivée prochaine de vaccins potentiellement efficaces contre le coronavirus. Concernant les jeunes, le chef de l'Etat a quoi qu'il en soit confirmé qu'il présenterait, dans les prochains jours, un plan spécifique baptisé «un jeune, une solution» qui fera l’objet «de moyens accrus». Une plate-forme numérique dédiée, (lien ICI) doit également suivre.  

Des gages sans doute de bonne volonté, mais l'urgence reste très vive. Alors que la 36e campagne d'hiver des Restos du coeur a été lancée mardi, l'association caritative fait part de sa grande inquiétude concernant les jeunes. «La population qui souffre énormément de cette crise et qui nous inquiète plus que les autres, ce sont les jeunes, non diplômés et diplômés», a indiqué à CNEWS Patrice Douret, d'un des administrateurs bénévoles des «Restos»

Actuellement, dit-il, «une personne sur deux que nous accueillons» a moins de 25 ans, et «près de 40% des jeunes pris en charge sont mineurs», at-il précisé. Lors de ses maraudes sur Marseille, le bénévole constate en outre qu'il y a «à chaque fois de nouvelles jeunes personnes à la rue».

Et pas plus tard que la semaine dernière, il a rencontré un jeune garçon qui dormait dans sa voiture car il n’a plus la possibilité de se loger...

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