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Gestion du Covid-19 : Agnès Buzyn pointe la responsabilité d'Emmanuel Macron et Edouard Philippe

Agnès Buzyn a déjà été auditionnée une vingtaine de fois dans le cadre de sa mise en examen pour «mise en danger de la vie d'autrui» liée à sa gestion de l'épidémie de Covid-19. [Lucas BARIOULET / AFP]

Dans un journal rétrospectif de la crise sanitaire, l'ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn pointe le manque de réactivité de l'exécutif face à ses alertes sur le Covid-19.

Seule mise en examen pour «mise en danger de la vie d'autrui» concernant sa gestion de l'épidémie de Covid-19, Agnès Buzyn a décidé de sortir du silence. L'ex-ministre de la Santé et médecin de profession a rédigé un journal rétrospectif de plus de 600 pages dans lequel elle assure avoir précocement alerté Emmanuel Macron et Edouard Philippe de la dangerosité du Covid-19, sans avoir été entendue.

Fin 2020, la commission d'enquête du Sénat avait reconnu une «mobilisation précoce» d'Agnès Buzyn concernant la pandémie de Covid-19, même si ses «avertissements répétés» semblaient «ne pas avoir été écoutés ou suivis d’effets». Mais, les députés de la commission d'enquête chargée de faire la lumière sur la gestion de la crise avaient de leur côté dressé un rapport accablant, rendant l'ancienne ministre coupable d'une «sous-estimation du risque» et d'un «pilotage défaillant».

Pourtant, dans son journal, retenu par la Cour de justice de la République (CJR) comme pièce du dossier et consulté par Le Monde, Agnès Buzyn affirme avoir pris connaissance des premiers cas de «pneumopathie inexpliquée» en Chine dès le 25 décembre 2019. Elle dit avoir immédiatement alerté Jérôme Salomon, alors directeur général de la santé, sur la nécessité de «suivre cela».

Son récit fait état de l'activation d'une veille du Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales dès le 2 janvier, et d'un premier message d'alerte sanitaire envoyé aux établissements de santé à la mi-janvier. Le 21 du même mois, Agnès Buzyn a décidé de faire un point presse quotidien après avoir été informée d'une possible transmission interhumaine du virus.

Enfin, elle raconte avoir écrit aux Agences régionales de santé (ARS) peu avant de quitter son poste de ministre pour concourir aux municipales à Paris, afin de les placer en alerte «maximale» et déclencher le plan Orsan Reb, qui organise la mobilisation du système de santé.

«Tout le monde s'en foutait»

«On m’a fait passer pour une idiote qui n’a rien vu, alors que c’est l’inverse, a écrit Agnès Buzyn. Non seulement j’avais vu mais prévenu. J’ai été, de très loin en Europe, la ministre la plus alerte. Mais tout le monde s’en foutait.»

L'ex-ministre assure avoir prévenu Emmanuel Macron et Edouard Philippe, alors Premier ministre, dès le 11 janvier 2020, sans avoir «l'impression d'être entendue». A la fin du mois de janvier, elle aurait selon ses dires exprimer son inquiétude au président, regrettant auprès de lui que «l’OMS [ait] pris la mauvaise décision de ne pas déclencher une alerte mondiale».

Evoquant l'augmentation exponentielle du nombre de cas en Chine, elle aurait expliqué à Emmanuel Macron que «cela peut tout de même être sévère si beaucoup de personnes sont touchées». Avant d'illustrer son propos en précisant que si 10 millions de personnes sont contaminées avec un taux de mortalité de 1 %, «cela fait 100.000 morts».

L'ancienne ministre aurait rencontré des difficultés pour obtenir un rendez-vous privé avec le président de la République. Elle voulait notamment lui «montrer les projections», preuves que «ce virus» était «beaucoup plus grave que la grippe». A ce moment-là, à la fin du mois de janvier 2020, Agnès Buzyn estimait déjà qu'«il fallait commencer à préparer l'opinion publique».

«Je n'aurais jamais dû partir»

Elle n'a, selon ses dires, pu parler du Covid-19 avec le chef d'Etat qu'une seule fois avant son départ du gouvernement. Le 8 février 2020, elle lui aurait dressé un tableau particulièrement alarmant des semaines et mois à venir, évoquant la fermeture des frontières, l'arrêt des vols, la crise économique et hospitalière, ainsi qu'une mortalité importante. L'idée d'un confinement aurait même été abordée.

Alors qu'elle avait émis des doutes sur la tenue des élections municipales en raison du Covid-19, Agnès Buzyn a ensuite été pressée de remplacer Benjamin Griveaux dans la course à la mairie de Paris. «On me poussait au mauvais endroit au mauvais moment», a écrit l'ancienne ministre. Je n'aurais jamais dû partir. A la Santé, j'étais à ma place».

Dans son journal, la médecin indique avoir continué de donner l'alerte pendant toute sa campagne. Dans ses SMS à Edouard Philippe, elle décrit les élections comme une «mascarade» et parle d'un «tsunami» à venir concernant l'épidémie. Elle a plus tard tenu les mêmes propos lors d'une interview au Monde, qui lui a valu de nombreuses critiques.

«Bien sûr, c’est facile de dire après “j’avais tout vu”, a-t-elle écrit dans son journal. Ce qui est certain, c’est que j’avais un pressentiment, et tout le monde me disait que j’étais folle. J’ai fait le maximum de ce qu’il était possible de faire à cette période-là.» A la mi-mars 2020, elle raconte même s'être emportée contre Edouard Philippe, lui reprochant d'être «en dehors de la plaque». «J’ai senti que je ne pesais plus rien et que je parlais dans le vide, a-t-elle ajouté. Je n’étais plus aux affaires et on me le faisait sentir.»

Dans le cadre de sa mise en examen, Agnès Buzyn a déjà été auditionnée une vingtaine de fois. L'ancien Premier ministre Edouard Philippe a quant à lui été entendu une seule fois, le 18 octobre dernier. Il a été placé sous le statut de témoin assisté, échappant pour sa part à la mise en examen. Olivier Véran, ex-ministre de la Santé et aujourd'hui porte-parole du gouvernement, est également visé par cette instruction mais n'a pour l'heure pas été auditionné.

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