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Recul de l’âge de départ à la retraite : quelles conséquences sur l’emploi des séniors ?

Augmenter le taux d'emploi des seniors est l'un des principaux enjeux de la réforme des retraites Augmenter le taux d'emploi des seniors est l'un des principaux enjeux de la réforme des retraites. [MYCHELE DANIAU / AFP]

Emmanuel Macron plaide depuis plusieurs mois pour un recul de l’âge légal de départ à la retraite, à 64 ou 65 ans. Cette mesure, qui doit être dévoilée ce mardi 10 janvier, permettrait, selon le gouvernement, d’augmenter le taux d’emploi des seniors.

Impopulaire, décriée, contestée… La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron doit être présentée ce mardi par le gouvernement, avec comme mesure phare le recul de l’âge légal de départ à la retraite, brandi par le gouvernement comme solution pour équilibrer le système et combler son déficit.

Vent debout contre cette réforme, les syndicats envisagent déjà d’appeler les Français à descendre dans la rue pour empêcher le texte de passer. «Le paramètre de l'âge est le plus injuste et le plus anti-redistributif», a estimé Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, auprès du Parisien.

Décaler l’âge de départ à la retraite se veut être une mesure logique pour le gouvernement. La durée de vie des Français s’allongeant, il faudrait travailler davantage. Là où l’exécutif souhaite également agir avec la retraite à 64 ou 65 ans, c’est sur le taux d’emploi des seniors. En effet, selon les dernières données de la Dares, le taux d’emploi des 55-64 ans s’établit à 56% au 4e trimestre de 2021, et la même année, 75% des 55-59 ans étaient en emploi, 35,5% des 60-64 ans et 8,6% des 65-69 ans. Une part qui se situe en dessous de la moyenne européenne, et dans certains pays comme l’Allemagne ou la Suède, le taux d’emploi des seniors dépasse les 70%.

Les seniors victimes de préjugés

«A 50 ans, vous avez encore une quinzaine d’années devant vous à travailler, donc se retrouver bloqué pour trouver un emploi 15 ans avant sa cessation d’activité, c’est une hérésie, estime Valérie Gruau, fondatrice du site seniorsavotreservice.com qui met en relation des seniors actifs ou retraités avec des employeurs. On tend à penser que passé 50 ou 55 ans, on est dépassé et on n’a plus rien à apporter à l'entreprise. Ce sont tous ces préjugés complètement absurdes et ancrés dans les mentalités qu’il faut détricoter pour que les entreprises aient un regard différent sur les seniors», explique-t-elle.

En effet, les salariés plus expérimentés sont souvent mal-aimés des employeurs. Prétentions salariales trop élevées, pas assez formés aux nouvelles technologies, pas assez souples… De nombreux freins et préjugés mettent des bâtons dans les roues des seniors en recherche d’emploi. Le taux de chômage des plus de 50 ans est de 5,1% au troisième trimestre 2022, selon l’INSEE. Les seniors sont par ailleurs davantage touchés par le chômage de longue durée (supérieur à deux ans).

Selon une étude de l’institut Robert Half sur l’emploi des seniors, 63% des salariés âgés de 44 à 55 ans en recherche n’ont pas été sollicités par des recruteurs au cours des six derniers mois, contre 26% chez les 18-34 ans.

Éduquer les entreprises sur les qualités des seniors

Pourtant, les seniors sont avant tout des salariés expérimentés, qui ont des qualités utiles aux entreprises. «Ce sont des personnes qui ont de grandes qualités relationnelles, ce qu’on appelle les "soft skills", qui ont de grandes capacités d’adaptation, qui résistent bien au stress, qui abordent les problèmes de façon plus sereine, qui savent travailler en équipe, qui sont tout de suite opérationnels, qui sont plus autonomes. Ce sont surtout des profils qui, dès lors qu’ils retrouvent un emploi, vont être beaucoup plus fidèles dans le poste car ils savent qu’il est difficile de retrouver du travail. Ils vont donc rester beaucoup plus longtemps, il y aura moins de turnover avec ces profils», avance Valérie Gruau. Cette dernière estime d'ailleurs que l'argument selon lequel les plus de 50 ans ne seraient pas aptes à travailler aux nouvelles technologies serait un préjugé daté, puisqu'une grande partie des salariés de plus de 50 travaillent de manière régulière avec des ordinateurs et téléphones portables. 

Selon la spécialiste de l’emploi des seniors, le gouvernement devrait tout particulièrement lancer de grandes campagnes de communication auprès des entreprises pour les informer des qualités des profils seniors, plutôt que de mettre en place des systèmes coercitifs ou de sanction, comme avancé par certains syndicats. La Première ministre Elisabeth Borne avait quant à elle émis l’idée de la création d’un «index» sur l’emploi des seniors, similaire au dispositif créé pour l’égalité homme-femme en entreprise.

Recul de l'âge légal de départ en retraite

Le gouvernement avance cependant le recul de l’âge légal de départ à la retraite comme le moyen le plus efficace de garantir l’emploi des seniors, qui, parce qu’ils devront partir à la retraite plus tard, devraient conserver leur emploi plus longtemps. Un effet «mécanique», selon les mots de la Première ministre.

La précédente réforme des retraites ayant touché l’âge légal de départ, en 2010, a repoussé cet âge de 60 à 62 ans. Selon une étude de l’INSEE sur les effets à court terme de ce report, publiée en 2017, la réforme de 2010 a effectivement entraîné une hausse de l’activité des seniors, mais dans le même temps, une hausse du chômage dans cette classe d’âge. «Le surcroît d’activité induit par la réforme se traduit majoritairement par un accroissement de l’emploi, mais également du chômage, voire de l’inactivité (hors retraite). La réforme a fait baisser la probabilité des seniors d’être à la retraite entre 60 ans et leur nouvel AOD (âge minimal auquel un cotisant peut liquider sa retraite, ndlr)», analyse l’INSEE.

«Au total, à court terme, l’effet dominant de la réforme aurait été de figer les situations atteintes à l’approche de la soixantaine dans l’attente du nouvel âge d’accès à la retraite : c’est surtout par l’allongement de la durée d’emploi des personnes encore en situation d’emploi entre 58 ans et 60 ans que la réforme aurait permis d’accroître l’emploi global», ajoute l'Institut de statistique. 

Sur le plus long terme, selon le dernier rapport du Conseil d’orientation des Retraites (COR), «Le taux d’activité et le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) sont en augmentation depuis le début des années 2000, de façon plus rapide depuis 2011, sous l’effet des réformes de retraite. (…) Le report de l’âge de la retraite depuis 2010 s’est ainsi accompagné d’une augmentation de la durée passée en emploi avant la retraite, mais également, dans une moindre mesure, de la durée au chômage», indique le rapport. «Si des progrès ont été réalisés ces dernières années en matière d’emploi des seniors, la question des transitions vers la retraite reste prégnante car une proportion sensible des assurés passe par des périodes de chômage ou d’inactivité entre leur sortie définitive du marché du travail et leur départ à la retraite (c’est-à-dire à la date de liquidation de leurs droits)», est-il également indiqué.

Ainsi, si le recul de l'âge légal de départ à la retraite permet aux salariés seniors de rester en emploi plus longtemps, et donc d'augmenter le taux d'emploi des plus de 55 ans, le gouvernement devra aussi se pencher sur le cas des seniors en situation de chômage et sur leur transition plus tardive vers la retraite. 

D'AUTRES LEVIERS EXISTENT 

Le recul de l'âge légal de départ à la retraite ne serait cependant pas le seul levier pour permettre de combler le déficit du système. L’augmentation du taux d’emploi des seniors pourrait permettre, selon des économistes, d’équilibrer le système des retraites sans toucher à l’âge légal de départ. En effet, une étude publiée en juin dernier par la Chaire «Transition démographique, transition économique» rattachée à Sciences Po et supervisée par l’économiste Jean-Hervé Lorenzi expose qu’en augmentant de 10 points le taux d’emploi des seniors (donc en passant de 56% à 66%), l'équilibre pourrait être atteint. Autrement dit, cela reviendrait à baisser de moitié le chômage des seniors, en «doublant les dépenses de formation professionnelle» pour cette tranche d’âge. D'après leurs calculs, «l'équilibre pourrait être atteint» en conservant «les mesures d'âge actuelles», à savoir âge légal de départ à 62 ans et durée de cotisation portée à 43 ans d'ici à 2035. Cela permettrait également, selon ces économistes, de rétablir les critères de pénibilité supprimés en 2017, qui permettait un départ à la retraite plus tôt pour les personnes exerçant un métier difficile. 

Selon Valérie Gruau, l’accès à la formation des seniors est l’un des principaux axes de travail. «La question de la formation est fondamentale, car on propose beaucoup moins de formations aux plus de 50 ou 55 ans qu’aux jeunes, et c’est une erreur parce que ça permet de continuer à motiver les gens, ça permet de continuer à gagner en compétence et en efficacité. Il faut que Pôle Emploi continue à proposer des accompagnements, au-delà des formations techniques, comme des ateliers pour mettre à jour son CV».

Le gouvernement a également émis l’hypothèse d’encourager le cumul emploi-retraite en permettant aux retraités qui continuent de cotiser d’obtenir une revalorisation de leur pension, afin que les seniors qui n’ont qu’une petite retraite puissent bénéficier d’un complément de revenu. Tous ces arbitrages devront encore être débattus dans les prochaines semaines. 

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