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Audrey Pulvar : «j'aurais du mal à rester docile !»

Audrey Pulvar publie un beau livre chez Flammarion    Audrey Pulvar publie un beau livre chez Flammarion [©Astrid di Crollalanza : Flammarion]

Audrey Pulvar publie «La femme» aux éditions Flammarion, un beau livre sur la représentation de la femme dans l'art, que ce soit en tant que sujet ou en tant que créatrice. L'occasion pour la journaliste-écrivain de revenir sur ses convictions et ses envies d'écriture.

Un ouvrage qui fait suite à son hommage aux grandes figures féminines, Libres comme Elles : Portraits de femmes singulières (éd.La Martinière, 2014).

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Après « Libres comme Elles : portraits de femmes singulières », vous traitez de la place des femmes dans l’art. Quels sont cette fois les ressorts de ce nouveau livre sur les femmes ?

Je suis frappée, mais pas surprise, de constater que même dans l'art, pourtant intrinsèquement avant-gardiste, les femmes sont encore traitées comme des mineures, dans tous les sens du terme. Que ce soit dans la façon dont elles ont été représentées, quand seuls des hommes les dépeignaient, les peignaient ou les sculptaient, ou dans la façon dont les traite aujourd'hui le marché de l'art, alors qu'elles démontrent depuis plus d'un siècle, au moins, à quel point elles sont aussi intenses, créatrices et douées que leurs alter-ego masculins.

Aujourd'hui, même une Frida Khalo, une Louise Bourgeois ou une Annette Messager sont dix fois moins cotées que des artistes masculins d'égale envergure. Si l'on mettait aux enchères côte-à-côte une œuvre de Rodin et une œuvre de Camille Claudel, on constaterait sans doute un fossé, concernant le montant de l'adjudication... l'une est-elle moins valable que l'autre alors que ces deux géants de la sculpture se sont tellement nourris l'un l'autre ? 

Comment la place des femmes a-t-elle évolué dans les arts ?

Incarnées, dans le sillage du Titien et de Giorgione, sous formes de divinités, issues de la mythologie ou d'éternelles secondes de la Vierge Marie, femme entre toutes les femmes, on les retrouve au sortir du Moyen-Âge réduites, en peinture, à leur condition de mère, au rôle d'austères garantes d'une lignée, pour les familles nobles, ou à celui de prostituée.

Jusqu'au milieu du 19eme siècle, elles n'ont guère, en Europe, que ces trois possibilités de représentation sur les cimaises ! En France, les représentations de femmes aux champs -dont l'existence était longtemps considérée comme négligeable donc indigne d'être figurée - ou de femmes écrasées par leur travail de lavandières, de repasseuses, d'ouvrières, ne viendra que plus tard. Et encore, souvent sont-elles représentées comme des êtres soit contraints, soit dangereux, soit vénaux.

Il faudra attendre le surgissement des impressionnistes, des pointillistes, des "nabis", ou encore la recherche d'un Cezanne, d'un Klee, d'un Matisse, sur la couleur, pour qu'une part de vie douce leur soit restituée. Puisque la couleur, le travail de la lumière, les nouveaux volumes, l'intensité des passions réalistes, sont les principales préoccupations des peintres de la deuxième moitié du 19eme siècle, le sujet en lui-même, souvent un corps de femme, est mis à distance et cette mise à distance lui confère, presque par hasard, une nouvelle et bouleversante fragilité.

Comme avec les nus de Bonnard, associant pour la première fois nudité et sentiments. La femme à la fois amoureuse et sensuelle, ni victime, ni catin existait donc ? Bien sûr ! C'est lui qui la peint. De même quand Schiele représente des prostituées viennoises, son travail sur la couleur, la perspective, le trait, confère soudain à ses modèles l'humanité qui leur est contestée par l'époque... et puis évidemment tout change encore quand ce sont les femmes qui s'emparent de leur propre représentation. Elles le font de façon bien plus complexe. Elles avaient toujours été là, créatrices, à l'image d'une Berthe Morisot ou d'une Marie Cassat, mais c'est le vingtième siècle qui s'ouvre enfin à leur art. 

Finalement plus qu’un beau livre, n’est-ce pas une véritable étude sociétale, voire anthropologique sur les femmes que vous menez ici ?

Je n'aurai pas la prétention d'utiliser ces mots !  Disons qu'il s'agit d'une promenade sur les chemins de la création picturale, sculpturale et plastique, en Europe mais aussi sur d'autres continents et une façon de s'interroger sur les liens entre grands événements historiques, création et représentation des femmes, de la fin du Moyen-Age à nos jours. La façon dont une société représente et montre ses femmes dit évidemment beaucoup de la place qu'elle leur accorde. Aujourd'hui nous pensons que les femmes ont tout gagné, dans nos sociétés dites développées. Il y a pourtant loin des textes de lois à la réalité des mœurs. 

Est-ce qu’à nouveau écrire sur la place des femmes était pour vous important à la veille d’une élection présidentielle ?

Pas plus à la veille d'une présidentielle qu'à un autre moment. Le combat pour l'égalité entre femmes et hommes est à mener en permanence. Car les forces de la réaction, elles, ne prennent pas de vacances.

Et il ne vous a pas échappé que machisme et sexisme ne se sont jamais aussi bien portés ! J'entends ceux qui disent : " ouais, ça va les femmes ont déjà tout les droits". Et je leur réponds que de tous temps, les féministes se sont entendu dire cela, par des hommes et par des femmes.

De tous temps on a contesté aux femmes la légitimité de leur combat pour être soi, avoir la main-mise sur leur propre corps, leur destin, s'autoriser toutes les aspirations. Sur ce terrain, quand on n'avance pas, quand on ne défend pas ses positions on ne fait pas du sur-place : on recule ! Et c'est ce qui s'est produit depuis trente ans. Des femmes et des hommes féministes ont considéré que l'essentiel était fait, que nous avions des acquis inattaquables. Or, il en va du sort des femmes comme de celui de la laïcité - ce puissant moteur d'émancipation de l'être : dès que nous avons cessé de nous battre, nous avons reculé. Parce qu'en face, les forces conservatrices, paternalistes et réactionnaires, elles, ne désarment pas. 

Comment avez-vous procédé concrètement ? Etes-vous partie d’œuvres qui vous sont chères pour élargir ensuite le propos ou le mouvement était-il inverse (du propos vers les œuvres) ?

J'ai commencé, pendant environ deux mois, par collecter une masse d'informations, j'ai puisé dans ma propre bibliothèque qui est très volumineuse et dans laquelle j'ai beaucoup de livres d'art. J'ai aussi fait appel à mes propres souvenirs, je suis retournée dans les musées, j'ai lu, j'ai travaillé, j'ai trié... ce qui m'a permis de définir l'architecture de mon propos en cinq chapitres sur les hommes et leur vision des femmes, sur les peurs ancestrales générées par les femmes, sur le corps-matière, sur l'image de la femme vierge et mère ou encore sur l'altérité. Ensuite j'ai passé six semaines et demie à écrire, entre 18 et 20h par jour. À la fin j'étais sur les rotules mais le livre, et l'été, étaient finis et je pouvais recommencer à travailler... pour la télé ! (Pop up sur C8, ndlr) 

Votre émission traite de l’actualité artistique. Alors que votre carrière vous a poussé souvent vers le traitement de l’actualité politique, une émission culturelle est-elle quelque chose que vous attendiez avec impatience ?

Oh que oui ! Cela fait très longtemps que je propose des formats d'émissions culturelles. Enfin, C8 m'a donné l'opportunité de concrétiser ce vieux rêve ! Pop Up est une émission culturelle comme j'ai toujours voulu en faire : grand public, accessible, drôle (on espère !) et qui ne se prend pas trop au sérieux. Je voudrais pouvoir y associer, un jour, d'une façon ou d'une autre, par exemple sur le net, de grands entretiens. Parmi mes meilleurs souvenir professionnels il y a cette période un peu dingue où tous les matins, sur France Inter, je pouvais parler de livres, de théâtre, d'expositions... quel kif ! 

Quelle est la place des femmes dans le journalisme culturel ?

Lisez ce grand article de Télérama la semaine dernière sur les émissions culturelles et voyez les appréciations personnelles, sur le fond,  qui son faites à propos de Léa Salamé et moi-même et celles concernant nos collègues masculins. Sans doute est-ce un hasard, si nous passons pour des gourdes et eux pour des gens pleins d'esprit mal servis par le format de leur émission.... nous manquons d'humour, bien sûr ! 

Avez-vous un/des modèle(s) féminin(s) ?

J'ai écrit Libres Comme Elles pour rendre hommage à mes modèles ! Et avec ce nouveau livre, La Femme, on comprend, je pense, mon immense admiration pour des femmes comme Louise Bourgeois, Annette Messager, Camille Claudel ou Roxanne Swentzell ou Claudia Andujar... pour ne citer qu'elles ! 

Est-ce que c’est le sujet des femmes qui vous motive à prendre la plume ou le fait même d’écrire qui vous tente de plus en plus ? 

Les deux mon capitaine ! Écrire à toujours été vital pour moi, j'ai des manuscrits plein mes cahiers... et le féminisme eh bien, je suis tombée dedans quand je suis née. Mon troisième prénom c'est Angela, pour Angela Davis.  Avec un prénom pareil, née l'année de son procès, fille et petite-fille de féministe, j'aurais du mal à rester docile !

La femme, Audrey Pulvar, éditions Flammarion, 29,90€.

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