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Philippe Labro : «une vie à aimer les autres»

L'auteur s'est plongé dans les archives familiales pour mener son enquête. [(C) Francesca Mantovani/Gallimard]

Dans «Ma mère, cette inconnue», l’écrivain, cinéaste et journaliste Philippe Labro lève le voile sur l’existence romanesque d’Henriette, dite Nekta. Une histoire qu’il a longtemps ignorée.

«Un jour, il faudra que tu racontes son histoire.» Dans son nouvel ouvrage, intime et bouleversant, Philippe Labro a enfin réalisé le souhait de ses proches. L’écrivain, cinéaste et journaliste dresse le portrait d’Henriette Carisey, surnommée Nekta, au passé douloureux. Fille d’une institutrice française et d’un comte polonais, enterré vivant par les bolcheviques, elle a d’abord été abandonnée par ses parents, puis par celle à qui elle avait été confiée. Cette enfance tragique, elle a choisi de la taire jusqu’à la fin de sa vie. Par honte, ou par pudeur, selon l’auteur, ce fils avec qui elle entretenait des liens extrêmement forts.

Pourquoi avoir attendu tant d’années pour lancer ce projet personnel ?

Je ne pouvais pas l’écrire tant qu’elle était vivante (sa mère est morte en 2010, ndlr). Mais la disparition de quelqu’un dessine son destin. Ma mère était une femme extraordinaire, dont la vie singulière relevait du roman. Porteur d’un devoir, j’ai voulu lui rendre hommage à travers ce livre.

Plus qu’une autobiographie, vous vous livrez à une enquête…

J’ai procédé à des recherches généalogiques en Pologne, interrogé certains protagonistes de l’époque et, surtout, parcouru une somme incroyable d’archives, dont ses lettres et ses carnets de poésie, que j’ai retrouvés chez elle. Elle qui avait honte de son passé de «bâtarde» et souhaitait l’oublier à tout prix, avait pourtant tout conservé.

Comment retranscrire une réalité que l’on n’a pas vécue ?

C’est la mission même du romancier. A partir d’un mot ou d’une phrase, j’ai imaginé, dans ce livre construit en séquences comme au cinéma, toute la beauté ou la rudesse de certains faits réels, sans nuire à personne. On peut être impudique mais jamais indécent.

En quoi sa rencontre avec votre père a-t-elle été miraculeuse ?

Ce coup de foudre, à l’âge de 20 ans, l’a fait basculer d’un état de spleen à un sentiment d’amour exalté. Son mari, de vingt ans son aîné, a pris lui-même la posture du père. Ma mère abandonnée et humiliée, qui n’a jamais connu la tendresse, a passé sa vie à aimer les autres. Ce fut un modèle d’altruisme et de générosité.

En pleine écriture de ce manuscrit, vous avez connu la dépression…

Cette dépression était fatale. Repenser à ces souvenirs m’a bouleversé. Je croyais que je ne pourrais plus écrire. Il m’a fallu un an pour me relever. Mais, pour ma mère, je me devais d’aller jusqu’au bout. J’ai eu un sursaut d’orgueil.

Ma mère fut un modèle d'altruisme et de générosité.Philippe Labro

Est-ce difficile de se construire, en tant qu’enfant, au milieu des non-dits ?

L’enfant n’est pas au stade où il comprend le non-dit. Il ne pose pas forcément de questions concernant ses origines familiales. Je n’ai eu ni grand-mère, ni grand-père, mais cela ne m’a jamais manqué. Ma mère avait réussi à créer un cocon dans notre maison, à Montauban, où nous étions tous très heureux. Les interrogations sont venues plus tard quand j’ai commencé à avoir ma propre vie d’homme.

Etes-vous attaché à vos racines polonaises ?

La «slavitude» me touche. J’ai, comme ma mère, une tendance à la nostalgie et à la mélancolie. La musique tsigane et, surtout, les compositions de Chopin me font frissonner. C’est tout le mystère de la vie. On ignore parfois les liens du sang et pourtant…

Pour reprendre la question que vous vous posez à la fin de votre livre : avez-vous assez aimé votre mère ?

Ce fut, en effet, ma crainte quand elle est décédée. J’ai ressenti de la culpabilité vis-à-vis de ma mère. Pris par mes obligations familiales ou professionnelles, je ne suis pas allé la voir aussi souvent que je l’aurais souhaité. Mais nous avions fait un pacte quand elle a quitté Paris pour profiter de sa retraite à Nice. Quoi qu’il arrive, je lui écrivais une lettre par semaine. Une habitude que j’avais prise quand je suis parti seul, à l’âge de 18 ans, en Virginie, aux Etats-Unis. Nous avions donc une relation épistolaire très forte.

Avez-vous concrétisé son rêve en devenant un homme de lettres ?

Elle a transféré sur moi ses désirs de créativité et de reconnaissance, qui l’animaient depuis sa jeunesse. Avec mon père, elle formait un couple cérébral et intellectuel qui aimait Baudelaire, Rimbaud et Verlaine. J’ai hérité de ces gènes. Alors qu’elle avait détenu une carte de presse, à ma grande surprise, ma mère n’a cessé de m’encourager, sans jamais me dire, qu’un jour, elle avait exercé le même métier que moi.

Qu’aurait-elle pensé, selon vous, de cet ouvrage ?

Elle aurait sans doute été heureuse. C’est un portrait qui se veut véridique. Mais elle n’aurait pas manqué de me rappeler d’autres souvenirs qui n’apparaissent pas dans le livre.

Vos enfants l’ont-ils lu ?

Ils ont été émus après lecture. A travers cet écrit, ils revoyaient cette grand-mère qui était attentionnée, présente et qui n’oubliait jamais un anniversaire. Mes nièces et neveux m’ont également fait part de leur émotion.

Quel est votre définition de la maternité ?

La tendresse, la présence. Il y a des liens qui n’ont pas besoin d’être écrits. La mère donne la vie. Dès lors, elle crée avec son enfant un rapport indéfinissable et plus fort que tout. On ne peut pas abandonner.

«Ma mère, cette inconnue», de Philippe Labro, éd. Gallimard, 17 €.

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