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Dictature en Uruguay : les victimes luttent contre la prescription

Des proches de victimes de la dictature en Uruguay défilent, le 20 mai 2013 à Montevideo [Miguel Rojo / AFP/Archives] Des proches de victimes de la dictature en Uruguay défilent, le 20 mai 2013 à Montevideo [Miguel Rojo / AFP/Archives]

Quarante ans après l'instauration de la dernière dictature en Uruguay (1973-1985), une quinzaine de personnes seulement ont été jugées pour leur participation à la répression, alors que les défenseurs des victimes du régime militaire luttent pour éviter la prescription de ses crimes.

"La situation actuelle est très difficile", confie à l'AFP Mirtha Guianze, ex-procureur impliquée dans plusieurs dossiers concernant des violations des droits de l'homme à cette époque, et actuellement membre de l'Institut national des droits de l'homme.

Mme Guianze admet que le situation s'est largement améliorée par rapport aux premières décennies après la dictature, quand les enquêtes étaient ralenties par la "Loi de caducité", votée en 1986, qui permettait au gouvernement de décider quels cas seraient jugés, c'est-à-dire aucun.

C'est seulement à l'arrivée en 2005 d'un président de gauche, Tabaré Vazquez (2005-2010), que les premiers procès ont eu lieu.

"Aujourd'hui, des militaires et un civil sont poursuivis, et ceci n'aurait pas pu se passer à une autre époque. Il n'y a plus la +Loi de caducité+ mais il y a l'obstacle de la prescription et c'est une question difficile à résoudre", explique l'ancienne magistrate.

Jusqu'à présent, tous les responsables condamnés -parmi lesquels les anciens dictateurs Gregorio Alvarez et le défunt Juan Maria Bordaberry- l'ont été pour homicide spécialement aggravé, un crime prescrit depuis le 1er novembre 2011 pour cette période.

Des proches de victimes de la dictature en Uruguay défilent, le 20 mai 2013 à Montevideo [Miguel Rojo / AFP/Archives]
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Des proches de victimes de la dictature en Uruguay défilent, le 20 mai 2013 à Montevideo
 

Le gouvernement a tenté de contourner la prescription par voie parlementaire trois jours avant cette date, en faisant approuver une loi qualifiant ces faits de "crimes contre l'humanité", et donc imprescriptibles.

Mais début 2013, après avoir été saisie d'un cas, la Cour suprême de justice (SCJ) a déclaré ce texte inconstitutionnel car contraire au principe de non-rétro-activité établi par la Constitution, la notion de "crime contre l'humanité" n'ayant fait son apparition qu'en 2006 dans la législation uruguayenne.

Depuis, la majorité des militaires actuellement poursuivis ont introduit des recours devant la SCJ.

"La décision de la Cour suprême donne sa position sur les crimes contre l'humanité mais ne dit pas qu'il ne faut pas poursuivre les instructions", estime Martin Fernandez, de l'Institut d'études légales et sociales (Ielsur), qui représente des dizaines de victimes.

Mais le problème est que si les instructions se poursuivent et arrivent jusqu'à la Cour suprême, celle-ci n'acceptera pas de procès pour crimes contre l'humanité, a-t-il ajouté.

"Il est peu probable que la Cour change de position mais nous verrons au moins s'ils laissent se poursuivre les enquêtes", déclare pour sa part Mme Guianze, pour qui "la solution va être d'en appeler aux organismes internationaux".

En 2011, la Cour interaméricaine des droits de l'homme a ordonné à l'Uruguay d'enquêter et de juger les crimes de la dictature, critiquant la décision de la SCJ, un avis partagé par l'ONU, Amnesty International et des juristes internationaux.

"Le temps joue pour nous", selon l'avocat Federico Alvarez Petraglia, défenseur d'anciennes prisonnières politiques, pour qui pendant que dure l'instruction -qui peut encore prendre deux ou trois ans- la composition de la Cour suprême peut changer.

L'ancienne prisonnière politique, Beatriz Benzano, parle lors d'un entretien accordé à l'AFP, le 25 juin 2013 à Montevideo  [Miguel Rojo / AFP]
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L'ancienne prisonnière politique, Beatriz Benzano, parle lors d'un entretien accordé à l'AFP, le 25 juin 2013 à Montevideo
 

Par ailleurs, un groupe de 28 anciennes prisonnières a déposé une plainte collective pour faire reconnaître les abus sexuels dont elles ont été victimes de la part de militaires, policiers, médecins ou infirmiers.

A cette époque, "le corps des femmes était utilisé comme butin de guerre", assure Beatriz Benzano, une ancienne nonne et militante dans la guérilla du Mouvement de libération nationale - Tupamaros(MLN), emprisonnée entre 1972 et 1976.

De l'autre côté, les militaires retraités assurent que s'il y a eu des crimes, ils sont prescrits, et qualifient leurs collègues condamnés de "prisonniers politiques". Comme l'ex-colonel Guillermo Cedrez, ils dénoncent "l'esprit de vengeance" du pouvoir actuel, composé de nombreux anciens guérilleros, jusqu'au président du pays, Jose Mujica, détenu durant presque 15 ans sous la dictature.

La dernière dictature dans ce petit pays latino-américain a été instaurée le 27 juin 1973, avec la dissolution du Parlement et la suspension des activités politiques à l'instigation d'un Conseil de sécurité nationale civil et militaire.

Selon une Commission pour la paix, on recense 230 disparus, majoritairement en Argentine, membre comme l'Uruguay du Plan Condor, une coordination visant à éliminer les opposants politiques aux dictatures militaires d'Amérique du Sud dans les années 1970 et 80.

Contrairement à ses voisins, notamment l'Argentine et le Chili, on l'on dénombre des milliers de disparus, le régime uruguayen a préféré emprisonner massivement - àet torturer- ses opposants. On estime ainsi qu'il y a eu 6.000 prisonniers politiques, pour environ trois millions d'habitants.

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