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Thomas Buergenthal : «Si je ne crois plus en l’homme, alors qui le pourrait ?»

Le camp d'Auschwitz[CC/Giulio Menna]

Aujourd’hui juge à la Cour internationale de La Haye, Thomas Buergenthal fut aussi l’un des rares enfants juifs à survivre aux camps de la mort durant la Seconde Guerre mondiale. Dans L’enfant de la chance, il raconte son expérience, encore très vive. Rencontre.

 

Archives – Article publié le vendredi 26 mars 2010

 

Vos souvenirs sont très vifs. On a l’impression que vous avez écrit ce livre enfant.

Thomas Buergenthal : Nous avons toujours parlé de ces années avec ma mère : cela m’a peut-être aidé à me souvenir. Ce ne sont pas les mémoires d’un vieil homme qui regarde son passé, car je crois que j’ai réussi à garder cette voix d’enfant au fond de moi.

 

Ne gardez-vous aucune rancœur de ce traumatisme ?

T. B. : Ce récit a été écrit à travers le prisme de mon émotion, et non pas comme un témoignage de l’une des victimes d’un terrible génocide. Ce n’est en tout cas pas comme cela que je l’ai vécu, peut-être parce que je n’étais qu’un enfant de 10 ans. Je n’avais pas vraiment vécu avant. La vie était donc pour moi celle que l’on me présentait ! J’étais jeune et je me sentais en droit de vivre. Un enfant est très égocentrique, il pense à lui avant tout. C’est d’ailleurs sûrement ce qui m’a sauvé.

 

Comment transformer l’envie de vengeance en désir de justice ?

T. B. : Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Je ne comprenais pas au début qu’Odd Nansen (un ancien déporté rencontré dans les camps, avec qui l’auteur a, plus tard, tissé des liens forts, ndlr) donne de l’argent pour la cause des enfants allemands réfugiés. Puis, peu à peu, vivre en Allemagne aux côtés de mes anciens bourreaux m’a permis de me rendre compte que tous ne pouvaient être des tueurs... tout comme je me suis rendu compte, grâce notamment à Nansen, que la haine ne changeait rien à la face du monde.

 

Comment gardez-vous foi en l’homme ?

T. B. : Je travaille pour la Cour internationale de justice de La Haye. Mais lorsque j’ai travaillé sur les génocides rwandais ou des Balkans, il était en effet difficile de ne pas avoir envie de baisser les bras. Mais à ces moments de découragement succède toujours la même prise de conscience : si je ne crois plus en l’homme, alors qui le pourrait ?

 

En tant que victime puis juge, avez-vous remarqué des points communs entre toutes les victimes de génocide ?

T. B. : Les victimes semblent souvent accorder plus d’importance à la reconnaissance de culpabilité qu’à la punition de leurs bourreaux. La première fois que cela m’a frappé, c’est à la suite du massacre des jésuites au Salvador (l’assassinat des six jésuites de l’université centraméricaine de San Salvador, le 16 novembre 1989, ndlr). C’est vrai que cette idée de reconnaissance de la culpabilité est quelque chose qui vient de la religion. Mais je pense, plus généralement, que l’homme a besoin de cette démarche. C’est d’ailleurs pour cela que les juifs en Allemagne vivent aujourd’hui bien plus en paix que partout ailleurs dans le monde. Les Allemands ont reconnu les faits. Et c’est important que ce soient les élites, les chefs d’Etat, qui admettent ces crimes.

 

L’homme est-il incapable de retenir les leçons du passé ?

T. B. : Je pense que le monde apprend même si le processus est lent. Internet permet l’information, les pays (pas tous, certes) en ont conscience. Je sais qu’il est possible de changer le monde. Regardez l’Allemagne de 1944 et ce qu’elle est devenue en 60 ans. Dans mon métier, il faut savoir regarder le bon côté des choses !

 

 

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