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Thaïlande: un moine bouddhiste leader des manifestants, devoir ou sacrilège?

Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara lors de négociations avec des représentants du gouvernement, le 27 janvier 2014 à Bangkok [Pornchai Kittiwongsakul / AFP] Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara lors de négociations avec des représentants du gouvernement, le 27 janvier 2014 à Bangkok [Pornchai Kittiwongsakul / AFP]

Sur scène devant des manifestants à Bangkok, un moine drapé dans sa robe safran exhorte ses "guerriers" à combattre un pouvoir au "coeur noir".

Un engagement public inhabituel dans une Thaïlande profondément bouddhiste où certains jugent primordial que les religieux observent une stricte neutralité politique.

Depuis trois mois, le gouvernement de la Première ministre Yingluck Shinawatra est dans la ligne de mire de militants qui réclament son départ et la fin de l'influence de son frère Thaksin, ancien chef du gouvernement renversé par un coup d'Etat en 2006.

Les protestataires accusent Yingluck d'être une marionnette du milliardaire haï. Et rejettent les élections législatives prévues dimanche.

Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara parle à la presse, lors d'un rassemblement de l'opposition contre le gouvernement thaïlandais, le 23 janvier 2014 à Bangkok [Pornchai Kittiwongsakul / AFP]
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Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara parle à la presse, lors d'un rassemblement de l'opposition contre le gouvernement thaïlandais, le 23 janvier 2014 à Bangkok

Dès les premiers jours du mouvement à l'automne, Luang Pu Buddha Issara, 58 ans, est apparu aux côtés du principal meneur, Suthep Thaugsuban, organisant des prières ou prenant la parole sur scène, l'ancien député assis à ses pieds en signe de respect.

Et depuis le lancement de l'opération de "paralysie" de Bangkok le 13 janvier, le moine est même en charge du campement de Chaeng Wattana, l'un des sites installés aux carrefours stratégiques de la capitale.

"Ce gouvernement dirigé par la famille Shinawatra, le frère et la soeur Shinawatra, n'a aucune morale, aucune éthique, ils sont corrompus, ils permettent la corruption et mentent tous les jours", explique à l'AFP le moine qui a également publiquement dénoncé de récents scandales de moines impliqués dans des affaires de corruption ou de drogue.

"La sphère religieuse a le devoir de dire à la sphère civile ce qu'elle doit ou ne doit pas faire", poursuit-il pour justifier son engagement politique.

Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara parle à la presse, lors d'un rassemblement de l'opposition contre le gouvernement thaïlandais, le 23 janvier 2014 à Bangkok [Pornchai Kittiwongsakul / AFP]
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Le moine bouddhiste Luang Pu Buddha Issara parle à la presse, lors d'un rassemblement de l'opposition contre le gouvernement thaïlandais, le 23 janvier 2014 à Bangkok

Mais sa démarche est loin de faire l'unanimité et le moine fait même l'objet d'une plainte de l'Association des bouddhistes de Thaïlande.

"Les moines peuvent avoir des sentiments personnels mais l'expression politique (leur) est interdite", martèle Sathien Wipornmaha, responsable de cette ONG, qui l'accuse de détruire "l'image du bouddhisme".

Mise en garde restée lettre morte

Même son de cloche du côté du Bureau national du bouddhisme, organisme officiel chargé de surveiller le comportement des moines.

"Les moines ne peuvent pas s'engager en politique", insiste son directeur Nopparat Benjawattantnun, qui a écrit au responsable religieux de la province de Nakhon Pathom, dont dépend Buddha Issara, pour que le moine soit mis en garde. "Mais il n'a pas arrêté" son action, constate-t-il.

Dans un pays où 95% des habitants sont des bouddhistes pratiquants, l'un des taux les plus élevés du monde, beaucoup pensent que les dizaines de milliers de moines doivent se tenir à l'écart de la politique partisane.

La participation de moines à des mouvements politiques ou sociaux n'est malgré tout pas une première.

Par exemple en 2010, des dizaines de religieux avaient participé aux côtés des "chemises rouges" pro-Thaksin à l'occupation du centre de Bangkok pendant deux mois pour réclamer la démission du gouvernement de l'époque, dont Suthep était vice-Premier ministre.

Certains avaient même été arrêtés au dernier jour du mouvement, marqué par un assaut sanglant de l'armée.

"Même si en théorie les moines sont apolitiques, en pratique, quand vous regardez sous la surface, il y a toutes sortes de politiques", explique ainsi Duncan McCargo, de l'université britannique de Leeds.

Malgré les critiques, le moine n'a pas perdu le soutien de ses fidèles, dont certains l'ont suivi jusqu'à Bangkok depuis son temple de Nakhon Pathom, comme Mayurachat Manothai.

"Le secteur laïc avait des problèmes, alors (Buddha Issara) devait aider", insiste la manifestante de 75 ans, après un discours du moine entouré d'une dizaine de gardes du corps avec gilets par balle et lunettes noires.

"Il y a deux leaders que les manifestants respectent. Suthep et moi", explique Buddha Issara.

"Si l'un d'entre nous est abattu, une foule massive sortira dans la rue, et ce sera une excuse pour le gouvernement pour utiliser la force", assure-t-il, alors qu'un meneur du mouvement a été abattu dimanche.

"Nous resterons assis ici (...). Nous voulons la victoire du pays", dit-il, sans donner de signe de compromis à l'approche du scrutin.

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