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Souvenir de la Première guerre mondiale: autant de pays, autant de mémoires

Un monument aux morts de la guerre de 1914-1918 à Cuxac-d'Aude, dans le sud de la France, le 27 octobre 2013 [Eric Cabanis / AFP/Archives] Un monument aux morts de la guerre de 1914-1918 à Cuxac-d'Aude, dans le sud de la France, le 27 octobre 2013 [Eric Cabanis / AFP/Archives]

Loin d'être unique et partagée, la mémoire de la Grande Guerre est aussi diverse que les dizaines de pays qui ont participé au conflit. Avec un fort clivage entre les nations qui ont gardé vivant le souvenir de 14-18 et celles où il a été effacé par les bouleversements ultérieurs de la 2e Guerre mondiale.

De la guerre oubliée au ciment national, le chemin de la mémoire épouse l'histoire des nations au-delà de la tragédie commune dans laquelle elles ont été plongées. A Londres, Paris ou Sydney, la Première Guerre mondiale symbolise le courage et la vaillance de tout un peuple. A Berlin, elle n'est que la triste prémonition des malheurs à venir.

Cent ans plus tard, chacun honore ses morts à sa façon. Les vainqueurs de 14-18 ont planté très tôt des bornes pour en entretenir le souvenir. En France, le 11 novembre est un jour férié depuis 1922.

Le mémorial de la Première guerre mondiale avec la flamme du souvenir et la tombe du soldat inconnu, le 20 février 2014 à Canberra, en Australie [Mark Graham / AFP/Archives]
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Le mémorial de la Première guerre mondiale avec la flamme du souvenir et la tombe du soldat inconnu, le 20 février 2014 à Canberra, en Australie

Au Royaume-Uni, les cérémonies fleurissent le Remembrance Sunday, le dimanche le plus proche de la date anniversaire de l'armistice de 1918. Les Britanniques arborent par centaines milliers un coquelicot à la boutonnière et les Français y piquent parfois un bleuet, deux fleurs qui continuaient de pousser dans l'enfer des tranchées devenues le symbole de la vie qui continue malgré tout.

"En Grande-Bretagne, il y a une mémoire très vive du conflit, un peu comme en France. La période du 11 novembre est très suivie et dans les années 1990-2000, la question des soldats fusillés a donné lieu à des centaines d'articles dans la grande presse anglo-saxonne", relève Nicolas Offenstadt, maître de Conférence à l'université Paris-I-La Sorbonne.

- Comprendre le vécu des soldats -

Des monuments aux morts ont été érigés dans la quasi-totalité des communes de France, où la mémoire se cristallise également autour de centaines de cimetières militaires rassemblant des centaines de milliers de victimes de toutes nationalités.

Un monument aux morts de la Première guerre mondiale, à Biddenden, dans le sud de l'Angleterre, le 23 janvier 2014 [Ben Stansall / AFP/Archives]
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Un monument aux morts de la Première guerre mondiale, à Biddenden, dans le sud de l'Angleterre, le 23 janvier 2014

Avec la disparition des derniers combattants de 1914-18 -le "der des ders" britannique, Harry Patch, est décédé à 111 ans en 2009-, la volonté de transmettre le souvenir du conflit aux jeunes générations s'est faite plus pressante. Les programmes scolaires ne racontent plus seulement l'histoire militaire, mais aussi les souffrances et les expériences des soldats.

"Nous savons tant de choses sur les grands événements du conflit. Ce que nous voulons à présent, c'est comprendre ce qu'ont ressenti ces soldats qui pensaient que la guerre serait finie avant Noël, les habitants de ces villes qui ont perdu tous leurs jeunes gens", souligne l'écrivaine Bonnie Greer, conseillère du gouvernement britannique pour les commémorations du Centenaire.

En Allemagne, le passé plus récent recouvre au contraire le souvenir du premier conflit mondial. Le pays n'a pas de jour férié pour honorer ses quelque 2 millions de morts de 14-18, et 2014 y est plutôt vécu comme le 75e anniversaire du début de la Deuxième Guerre mondiale. La défaite de 1918 et le Traité de Versailles sont également souvent considérés comme le ferment de la montée du nazisme et du désastre à venir.

Un monument aux morts de la Grande Guerre à Southborough, dans le sud de l'Angleterre, le 23 janvier 2014 [Ben Stansall / AFP]
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Un monument aux morts de la Grande Guerre à Southborough, dans le sud de l'Angleterre, le 23 janvier 2014

Synonyme de défaite également en Autriche, la guerre y est surtout vue comme la cause de la chute de l'empire, alors que subsiste dans le pays une certaine nostalgie de la monarchie des Habsbourg. Comme en Allemagne, les programmes scolaires se concentrent sur la Deuxième Guerre mondiale.

- Aux Etats-Unis, "une guerre oubliée" -

D'autres pays, comme les Etats-Unis, entrés en guerre en 1917, n'ont pas vécu l'intégralité du conflit. "Presque cinq millions d'Américains ont servi pendant la guerre et 116.500 sont morts, mais les Américains n'y pensent pas beaucoup. C'est une guerre oubliée", résume Peter Kuznick, professeur à l'American University de Washington. La Seconde Guerre mondiale, le Vietnam, l'Afghanistan, et même la guerre de Sécession - la guerre civile américaine (1861-1865) - recouvrent le souvenir de 14-18.

Les nations connaissent parfois des retours de mémoire. Comme la Russie, où la Première guerre mondiale a été éclipsée durant près d'un siècle par le souvenir de la révolution de 1917 et de la "Grande guerre patriotique" de 1941-1945: pas de monument national ni de cérémonies officielles dans le pays qui a pourtant perdu deux millions d'hommes dans les combats. Jusqu'à ce que Vladimir Poutine, qui prône le retour aux valeurs patriotiques, ne décide d'instaurer à partir de 2013 une journée de commémoration le 1er août à la mémoire des Russes morts de 1914 à 1917.

Le mémorial de la Première guerre mondiale à Auckland, le 15 février 2014 en Nouvelle-Zélande<br />
 [Fiona Goodall / AFP]
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Le mémorial de la Première guerre mondiale à Auckland, le 15 février 2014 en Nouvelle-Zélande

La mémoire de la Première Guerre mondiale est en revanche extrêmement vivace dans des pays, notamment d'anciennes possessions britanniques, dont la conscience nationale s'est forgée durant le conflit.

- "La mémoire n'est jamais figée" -

L'Australie, qui a envoyé 400.000 hommes se battre en Europe (10% de sa population de l'époque), marque chaque 25 avril avec ferveur l'ANZAC Day, qui marque l'anniversaire de la bataille de Gallipoli, près d'Istanbul, où Australiens et Néozélandais furent défaits par les Turcs en 1915. Au Canada (66.000 morts), de grandes cérémonies sont organisées le 11 novembre, mais la mémoire populaire retient aussi les incidents sanglants qui ont opposé des francophones hostiles à la conscription aux troupes anglophones.

La Pologne, la République tchèque, la Slovaquie ou la Lituanie sont devenues indépendantes en 1918 à la faveur du conflit et marquent chacune à leur façon cette résurrection nationale, sans toujours la lier à la Grande Guerre: la Pologne a bien un "soldat inconnu", mais tué en 1919 lors de la guerre frontalière contre l'Ukraine. Paradoxalement, le premier conflit mondial, dans lequel elle a perdu 400.000 morts enrôlés dans des camps opposés, est pour la Pologne aussi "une guerre oubliée", relève l'historien britannique John Horne.

La Turquie moderne, née en 1923 elle aussi sur les ruines d'un empire vaincu, l'empire ottoman, garde en revanche un vif souvenir de la Grande Guerre. La contre-offensive victorieuse de Gallipoli conduite par le jeune Mustafa Kemal, futur fondateur de la république turque, fait l'objet d'un véritable culte dans les milieux laïques opposés à l'actuel gouvernement islamo-conservateur.

"La mémoire n'est jamais figée. Des périodes tout d'un coup s'effacent, d'autres remontent à la surface", note Nicolas Offenstadt. Et les commémorations du centenaire devraient la voir évoluer à nouveau.

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