En direct
A suivre

Crimée: l'agressivité russe pourrait déclencher un conflit sanglant selon un leader tatar

Le leader tatar Moustafa Djemilev, le 6 mai 2014 à Kiev [Sergei Supinsky / AFP] Le leader tatar Moustafa Djemilev, le 6 mai 2014 à Kiev [Sergei Supinsky / AFP]

Interdit d'accès en Crimée après avoir rejeté son "annexion" à la Russie, le leader des Tatars dénonce le "retour aux pires jours de l'URSS" et évoque le risque d'un conflit sanglant que pourrait déclencher la "muflerie" russe envers cette minorité musulmane.

Moustafa Djemilev, 70 ans, né en Crimée, n'avait qu'un an quand sa famille fut déportée comme des dizaines de milliers d'autres en Ouzbékistan, sous l'ordre de Staline.

Il a consacré sa vie à lutter pour le droit des Tatars de vivre sur leur terre d'origine et a passé une quinzaine d'années dans les camps pour ses activités "antisoviétiques".

"Le comportement des Russes aujourd'hui est inadéquat. Nous revenons à l'époque soviétique. Ce n'est pas tout à fait le stalinisme, mais c'est loin des acquis de la perestroïka", explique dans une interview à l'AFP dans un café ouzbek à Kiev ce petit homme maigre pendant sa pause déjeuner entre deux séances au Parlement où il est député.

- La patrie n'est pas à vendre -

Il s'était longuement entretenu avec le président russe Vladimir Poutine avant le référendum controversé du 16 mai qui a abouti au rattachement de la péninsule ukrainienne à la Russie, que les Tatars, qui représentent environ 12% de la population de Crimée, ont largement boycotté.

"Il m'a promis que la Russie ferait pour les Tatars plus que l'Ukraine n'avait fait en 23 ans d'indépendance", raconte-t-il. "J'ai eu l'impression qu'il voulait au moins la neutralité de notre part".

Plusieurs gestes ont suivi comme un décret présidentiel sur la réhabilitation des Tatars "pour nous montrer que le pouvoir russe est bon et pour nous faire saluer l'annexion".

"Nous ne mettons pas notre patrie aux enchères. Notre avenir est au sein de l'Ukraine indépendante et démocratique", explique M. Djemilev, qui est député du parti Batkivchtchina de l'ex-Premier ministre Ioulia Timochenko.

La Medjlis, l'assemblée des Tatars, est actuellement le seul bâtiment en Crimée (dans la capitale Simféropol) où flotte encore le drapeau bleu et jaune ukrainien.

"C'est comme un chiffon rouge pour un taureau", raconte-t-il, dénonçant une tentative récente de pro-russes de le remplacer par les couleurs russes.

"J'ai dit à Poutine qu'on ne peut pas faire de tels référendums. Je lui ai dit que je lui trouverais des villages en Crimée qui voteraient un rattachement au Japon, aux Etats-Unis ou à la Turquie".

- Muflerie flagrante -

Moustafa Djemilev a récemment été interdit d'accès en Russie pour cinq ans et a été refoulé à deux reprises à la frontière lorsqu’il tentait de se rendre en Crimée.

Quelque 3.000 Tatars se sont rassemblés le week-end dernier et ont percé les cordons de sécurité pour l'accueillir de l'autre côté de la ligne de démarcation entre Ukraine et Crimée après des heurts avec les forces de l'ordre.

A la suite de cet incident, les autorités de la Crimée contrôlées par Moscou ont menacé de poursuive les Tatars pour "extrémisme".

"C'est de la muflerie flagrante que les Tatars ne vont jamais accepter", lance Moustafa Djemilev.

"Quand le pouvoir des occupants dicte au peuple autochtone qui peut vivre en Crimée et qui ne peut pas, c'est une voie dangereuse qui mène à de graves conflits" met-il en garde.

Selon lui, la situation devient de plus en plus compliquée pour les Tatars dans la péninsule.

"Ils sont agressés par des cosaques (milices pro-russes) ivres, certains commencent à se voir demander par leurs voisins quand ils comptent partir pour pouvoir occuper leurs appartements..." raconte-t-il.

S'il juge peu probable une déportation "dans des wagons de marchandises" comme sous Staline, il pense que les Russes vont en revanche faire en sorte que les Tatars partent d'eux-mêmes, comme au XVIIIe siècle, après la première conquête russe de la Crimée.

"Ils ont éliminé les élites, exproprié les terres et humilié nos sentiments religieux. Ils ont forcé les Tatars à s'en aller. Résultat: il y a 10 à 15 fois plus de Tatars de Crimée en Turquie qu'en Crimée", raconte-t-il.

Selon lui, environ 5.000 personnes ont déjà quitté la Crimée pour l'Ukraine occidentale depuis l'occupation russe en mars.

"Il s'agit de femmes, d'enfants et de vieillards. Les hommes sont de retour. Nous ne devons pas quitter la Crimée quelles que soient les circonstances".

"Nous nous sommes battus pendant 50 ans pour revenir sur nos terres et nous n'avons pas versé une seule goutte de sang. Aujourd'hui, la situation est telle qu'on ne peut plus garantir que cela se passe de la même manière".

"Nous sommes contre" la mise en place d'une guérilla, mais "on ne peut rien exclure" et "cela échappe à notre contrôle" si des gens "veulent se venger pour l'humiliation" qu'ils sont en train de subir, a-t-il conclu.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités