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Peut-on gouverner à gauche ?, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Les expériences en parallèle des gouvernements Valls en France et Renzi en Italie conduisent à s’interroger sur la capacité de la gauche à gouverner en Europe aujourd’hui. Après tout, la gauche peut disparaître : en témoigne le sort des travaillistes en Israël, qui ont pratiquement disparu de la scène publique et où les batailles politiques se déroulent désormais entre la droite et l’extrême droite.

Accepter aujourd’hui de gouverner, c’est en effet non seulement prendre le risque de l’impopularité qu’appelle toute gestion en période de crise, mais aussi affronter le danger que représente la confrontation au jour le jour avec la nécessité de réviser sa propre doctrine. Car à aucun moment, sauf à travers les travaux de quelques "think tanks" (groupes de réflexion), notamment "Policy Network" au côté des travaillistes britanniques, cette doctrine n’a été adaptée, réfléchie, confrontée aux exigences de notre temps. Si bien que la plupart des gauches européennes ont été comme prises à revers par la mondialisation, et surtout par l’éclatement des classes moyennes qui en a résulté.

Elles sont donc obligées d’inventer, chemin faisant,et se heurtent à de vives résistances ; et à chaque fois, au nom de dogmes datés, bien qu’ils paraissent rassurants. C’est en France comme en Italie la même menace de scission : de la part des "frondeurs" qui dénoncent avec l’extrême gauche, le Parti communiste et les Verts, une "trahison" ; et en Italie, il s’agit de ceux qui menacent de se séparer de la majorité du parti démocrate pour se regrouper contre le Premier ministre.

Il n’est pas question ici de proclamer que tout irait mieux si les gouvernements avaient les mains libres : les difficultés sont réelles pour des millions de personnes, à commencer par celles et ceux qui sont victimes de la plus grande des inégalités, à savoir l’accès au marché du travail. Mais il s’agit plutôt de constater qu’avec la crise financière, nous avons été victimes des dérives d’un capitalisme financier non régulé. Jamais, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les dégâts causés par ces dérives n’avaient été aussi forts, patents, avérés. Le terrain était donc propice, comme idéal, pour un retour des idées de la gauche classique, celle qui met toujours au premier rang la lutte contre les inégalités.

Or, il s’est produit l’inverse : comme la montée des Tea Parties aux Etats-Unis, qui ont entraîné une radicalisation paralysante, pour le Président Obama, de la droite classique, celle qu’incarne le Parti républicain. Dans un pays où, pourtant, les inégalités sont redevenues vertigineuses, selon l’économiste français Thomas Piketty, semblables à ce qu’elles étaient à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Et, en Europe, nous sommes confrontés à une vague populiste et d’extrême droite. Avec, lorsque ces idéologies mortifères sont à l’œuvre, d’inévitables poussées nationalistes.

Précisément, ces poussées extrémistes conduisent inévitablement à des tentations anti-démocratiques, lesquelles ne sont pas séparables de l’éclatement et de la fragmentation des classes moyennes. Celles-ci sont le support de la démocratie représentative.

Et elles ont été jusqu’alors bien représentées par la gauche. Or, ces classes moyennes désorientées, comme hier la classe ouvrière, croient pouvoir se défendre par un repli corporatiste et conservateur, nourri par la peur du déclassement. Le tout dans des sociétés converties à l’individualisme qui ignorent de plus en plus le sens du mot solidarité. Les gauches européennes doivent donc impérativement rénover leur analyse de la société et adapter leur objectif de toujours – la justice sociale aux réalités de ce siècle. 

 

Jean-Marie Colombani

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