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Terrorisme : ce qui va changer, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

"La guerre au terrorisme", selon l’expression du Premier ministre français Manuel Valls, modifie la donne sur au moins trois terrains : celui des libertés, de l’Internet et de la diplomatie. Comme toujours lorsque l’on subit une attaque terroriste, resurgit le débat liberté/sécurité. Le réflexe politique le plus courant est de réagir, voire de sur-réagir, par un bouclier législatif orienté dans un sens défavorable aux libertés. Le cas emblématique est celui du Patriot Act américain après les attentats du 11 septembre 2001. Parmi de très nombreuses mesures, ayons à l’esprit la création d’une catégorie nouvelle, "les ennemis combattants", qui ne ressort d’aucune juridiction, ce qui permet une détention ad vitam sans juge ni contrôle. Et nombre d’autres dispositions concernant une surveillance tous azimuts des réseaux à laquelle personne n’est censé échapper dans le monde.

La France n’a pas l’intention d’emprunter ce chemin, pour s’en tenir à une doctrine énoncée par le Premier ministre : des mesures exceptionnelles, oui ; des lois d’exception, non ! Comme l’explique l’ancien député européen Jean-Louis Bourlanges, l’enjeu est "d’améliorer notre pénétration des quelques milliers de cinglés qui gravitent dans la mouvance de l’islamisme radical" et non de faire reculer les libertés.

L’autre front ouvert est celui de l’Internet. Lequel fonctionne selon la conception américaine de la liberté. Elle fait de la liberté de parole la garantie de toutes les autres libertés. Tandis que nous vivons avec une conception qui réglemente. Nos libertés, selon l’expression consacrée, s’arrêtent là où commencent celles des autres. Toutes nos libertés sont donc réglementées. Vis-à-vis de l’Internet, il s’agit de répondre à une double question : doit-on contrôler et peut-on exercer un contrôle ? Il ne fait aucun doute que les recrutements et messages sont évidemment facilités par les technologies nouvelles qui permettent à des organisations clandestines de fonctionner. Par ailleurs, il existe aujourd’hui une sorte de guerre menée contre les sites de médias qui leur déplaisent par ceux que l’on nomme "cyberjihadistes". Les contrôles seront donc inévitables.

Sans vouloir en aucune façon imiter la Chine, il faudra bien qu’Européens et Américains trouvent un moyen de faire valoir les impératifs de sécurité aux dépens des jihadistes. Et si les Américains tardent tant sur ce sujet, alors qu’ils sont si actifs, parfois au-delà de ce qui est nécessaire, dans d’autres domaines, c’est que leur économie bénéficie de la position dominante de Google et de Facebook par exemple.

Quant à la diplomatie, elle ne pourra pas non plus rester en l’état. Les deux questions posées sont celles du financement et des flux humains. On sait aujourd’hui que Daesh a largement les moyens de s’autofinancer, notamment en exploitant quelques puits de pétrole. Il n’en reste pas moins que, dans un passé récent, les regards se tournaient vers de riches Saoudiens ou de riches Qataris soupçonnés d’être en sympathie avec ce mouvement. Est-ce toujours le cas ? Quant aux flux humains, les Européens savent bien que les jeunes candidats au jihad venus de France, de Belgique, d’Allemagne et de Grande-Bretagne, ne peuvent rejoindre la Syrie et l’Irak qu’en traversant la frontière turque. La Turquie, hier pilier de l’Otan, aujour­d’hui ouvertement engagée dans un islamisme de moins en moins modéré, va-t-elle prendre sa part du fardeau ou, au contraire, continuer de fermer les yeux ? Le Premier ministre turc a bien défilé à Paris mais il n’est pas sûr qu’il ait l’intention de redevenir un allié dans une lutte qui appelle, chaque jour davantage, un maximum de coopération internationale. 

Jean-Marie Colombani 

 

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