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Le Royaume-Uni trop en retrait, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Les élections qui vont avoir lieu en Grande-Bretagne revêtent une importance parti­culière, peut-être même historique. Selon le camp vainqueur, soit les conservateurs conduits par le Premier ministre sortant David Cameron, soit les travaillistes dirigés par Ed Miliband, le sort de l’Union européenne peut en être bouleversé.

David Cameron s’est engagé à organiser, s’il gagne, un référendum pour ou contre la sortie du Royaume- Uni de l’Union européenne ; choix que récusent les travaillistes qui sont, bon an mal an, restés fidèles à la ligne pro-européenne fixée par Tony Blair. Or, dans les conditions actuelles de l’opinion, un référendum aurait de fortes chances de donner raison à ceux qui veulent sortir de l’Europe.

Ce choix stratégique renvoie à une question de plus en plus aiguë en Grande-Bretagne : celle du déclin du pays sur la scène internationale. Sortir de l’Europe serait pour une nation qui, il n’y a pas si longtemps, a régné sur près d’un tiers de la planète, la marque indélébile de ce retrait. David Cameron ­apparaît comme le Premier ministre de l’effacement de la Grande-Bretagne. En Europe, ce fut le fiasco de la tentative de veto, opposé par David Cameron, à la nomination de Jean-Claude Juncker comme ­président de la Commission. Sur le front ukrainien, à part quelques apparitions épisodiques, le Premier ministre a surtout brillé par son absence, les discussions avec la Russie étant conduites par le couple Hollande-Merkel. Pourtant, la Grande-Bretagne avait signé en 1994 l’accord de Budapest, censé garantir l’intégrité de l’Ukraine.

En Afrique, peut-on imaginer qu’il y a seulement dix ou quinze ans la Grande-Bretagne aurait observé sans réagir le développement sinistre de la secte Boko Haram sans voler au secours de son allié ­nigérian ? C’est finalement la situation au Proche et Moyen-Orient, qui illustre le mieux le retrait britannique. Tout se passe comme si les interventions ­militaires en Afghanistan, et surtout en Irak, avaient découragé les Britanniques de regarder autour d’eux, au point de vouloir se replier sur la seule Grande-Bretagne.

Et encore… si l’on regarde la scène intérieure, rarement le Royaume-Uni a paru si désuni. Le débat est dominé par les populistes de l’UKIP, qui tiennent sous leur pression les conservateurs, au point de les avoir engagés sur ce chemin, peut-être funeste, du référendum. Quant aux travaillistes, ils pourraient être demain sous la pression du Parti national écossais, qui avait lancé et perdu, de peu, un référendum sur la sortie de l’Ecosse de la Grande-Bretagne.

Si bien que l’on ne peut plus raisonner dans les termes classiques de l’alternance conservateurs-travaillistes. Il faut désormais intégrer des partis charnières autres que les libéraux qui se sont noyés dans leur coalition avec les conservateurs. Ce paysage éclaté correspond, en fait, à une Grande-Bretagne divisée en trois : Londres, qui vit de la prospérité de la City ; le reste de l’Angleterre avec ses zones de pauvreté effarantes ; et l’Ecosse.

Pour sa défense, le gouvernement conservateur ­invoque, à juste titre, le retour de la croissance bien plus forte que sur le continent et un chômage qui a spectaculairement reculé. Mais, dans le même temps, les inégalités se sont considérablement creusées et le travail précaire, qui n’est jamais très loin de la pauvreté, a pris une place de plus en plus grande. Enfin, la diversité de la population britannique, qui a longtemps servi d’exemple, vit aujourd’hui à l’heure de la fragmentation de la société britannique.

Pour toutes ces raisons, le retour des travaillistes au gouvernement paraît souhaitable pour qui considère que la Grande-Bretagne doit redevenir un atout pour l’Europe

Jean-Marie Colombani

 

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