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Les clés du scrutin britannique, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

La victoire surprise des conservateurs britanniques comporte un premier enseignement : pour un pouvoir en place, être à même de se prévaloir de bons résultats économiques est primordial. Avec le retour de la croissance et le fort recul du chômage – même au prix d’emplois très précaires – la Grande-Bretagne a retrouvé un bel optimisme qui a justement bénéficié au Premier ministre sortant. Le second enseignement est qu’un positionnement trop à gauche – c’était le cas d’Ed Miliband par rapport à Tony Blair ou à son frère David Miliband – a inquiété plus que de raison un électorat centriste qui a fait défaut, alors même que s’effondraient les libéraux-démocrates.

Paradoxalement, le Parti travailliste est vaincu aussi par plus à gauche que lui, en Ecosse ! Les nationalistes écossais, qui ont promis au long de leur campagne que, grâce à eux, l’Ecosse échapperait à la nouvelle vague d’austérité annoncée par David Cameron, sont eux aussi les grands vainqueurs du scrutin. Ils ont pris la place des travaillistes qui, jusqu’alors, monopolisaient la représentation écossaise à Westminster.

Si bien que la reconduction de David Cameron n’est, à ce stade, ni une bonne nouvelle pour la Grande-Bretagne, ni pour l’Europe. Ce résultat comporte pour la Grande-Bretagne une menace de fragmentation. Tout se passe comme si, progressivement, s’installait un processus de fédéralisation du royaume. Et ce malgré le référendum sur l’indépendance de l’Ecosse perdu par les nationalistes. Il n’empêche. Une majorité d’Ecossais a manifesté une volonté de profonde redistribution des pouvoirs, à commencer par l’autonomie fiscale. Redistribution plus ou moins promise par David Cameron. 

Fragmentation et isolement. L’autre promesse de David Cameron est l’organisation d’un référendum pour ou contre la sortie de l’Union européenne. Même s’il s’est déclaré, à titre personnel, hostile à la sortie, il a assorti ce souhait d’une condition dont il est peu vraisemblable qu’elle puisse être acceptée par les autres membres de l’Union, à savoir la renégociation des conditions de l’adhésion britannique. Un statut particulier avec les avantages du marché unique sans les règles communautaires.

L’ancien et futur Premier ministre, à qui l’on a reproché de céder à la pression de UKIP, parti xénophobe et antieuropéen, peut faire valoir qu’il a ainsi, en promettant un référendum, fait reculer le parti de M. Farage, lequel n’obtient qu’un seul siège. Mais ce bénéfice de politique intérieure peut s’accompagner d’un prix élevé à l’extérieur. Que serait, que pèserait une Grande-Bretagne réduite à l’Angleterre et vivant hors de l’UE ? Nous aurions alors cette "petite" Angleterre, déjà en filigrane du premier mandat de David Cameron.

La sortie du Royaume-Uni serait dommageable pour lui-même, mais aussi pour l’Europe. Bien plus grave qu’une éventuelle sortie de la Grèce de la zone euro ! Dans la formidable redistribution des cartes planétaires qui s’opère sous nos yeux, l’UE serait privée d’un atout de poids. Et que dire, pour tous ceux, dont je suis, qui pensent que l’Europe doit se doter d’urgence d’une capacité de défense commune, si les forces britanniques devaient continuer de s’en abstraire ? Sur cette question essentielle, sans doute faudra-t-il attendre le verdict américain, compte tenu du degré de dépendance dont a fait montre David Cameron à l’égard des Etats-Unis. Sachant que Washington est pour le moment favorable au maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE.

A ces sombres perspectives il faudrait ajouter, au vu du nouveau programme économique des Conservateurs, de plus grandes inégalités. Mais ne soyons pas injustes : où a-t-on vu que la réalité se conforme toujours aux promesses électorales ?

Jean-Marie Colombani

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