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Quand Poutine joue à Napoléon, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

A l’initiative du roi des Belges, quatorze chefs d’Etat représentant les Alliés de l’époque vont commémorer le 200e anniversaire de Waterloo. La France y sera représentée par un ambassadeur. Ces cérémonies, assorties d’une reconstitution de la célèbre bataille, auront, même à deux siècles de distance, un goût amer pour la France. La France qui, en 2005, à la demande de Jacques Chirac alors président, s’était interdit de commémorer la bataille d’Austerlitz mais avait envoyé le porte-avions Charles-de-Gaulle pour participer aux célébrations de la bataille de Trafalgar…

La conséquence décisive de Waterloo fut le congrès de Vienne qui instaura un nouvel équilibre en Europe. L’Autriche et la Grande-Bretagne eurent alors l’intelligence d’y associer la Russie en l’invitant à prendre sa part de la répartition des territoires et zones d’influence.

L’actualité du Congrès de Vienne est incluse dans ce rappel : la Russie d’aujourd’hui aspire-t-elle à prendre rang dans le concert des nations européennes ? Ne cherche-t-elle pas, plus simplement, à imposer le découpage de nouvelles zones d’influence, lesquelles ressembleraient furieusement à la coupure qui existait hier entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest ?

De ce point de vue, l’entretien accordé par Vladimir Poutine au Corriere della Sera donne des indications précieuses. Sur la méthode d’abord, qui consiste à tenir des propos apaisants – "Je voudrais dire qu’il n’y a pas besoin d’avoir peur de la Russie" – au moment même où il lance, ou relance, une offensive dans l’est de l’Ukraine, via des troupes "séparatistes" solidement encadrées par des milliers de militaires russes. Sur le fond, surtout, lorsqu’il revendique "la parité" avec les Etats-Unis en matière d’influence et d’armement, notamment en matière balistique. Ce qui a aussitôt conduit Washington à évoquer une installation rapide de missiles en Grande-Bretagne. Mais, rassure Poutine, "les gens de bon sens ne peuvent pas imaginer un conflit militaire d’ampleur aujourd’hui"…

En fait, si le Congrès de Vienne se réunissait aujourd’hui, il placerait la Russie de Poutine en lieu et place de la France de Napoléon – une puissance qui bouscule les frontières à l’intérieur de l’Europe par les armes et qui est dirigée par un autocrate. Le Congrès de Vienne existe, il s’appelle le G7. La réunion qui s’est tenue il y a quelques jours en Allemagne a permis de réaffirmer qu’Européens et Américains n’accepteront de lever les sanctions économiques contre la Russie qu’à la condition que les accords de Minsk, qui prévoient notamment un cessez-le-feu en Ukraine, soient respectés.

La véritable difficulté du G7 est de préserver l’unité entre Européens et Américains d’une part, et entre Européens d’autre part. Il ne fait de doute pour personne que Poutine cher­che à nous séparer. Il a certainement marqué des points à l’occasion de sa visite en Italie, qui avait nécessairement pour effet de contredire la volonté commune de l’isoler. On voit bien qu’au fil du temps chacun est tenté, ici ou là, de ménager ses propres intérêts avec la Russie alors que celle-ci se fait, au contraire, plus menaçante à l’endroit notamment des Etats baltes.

En fait, ni l’Europe ni les Etats-Unis, depuis la fin de l’URSS, ne nourrissent d’attitude hostile contre la Russie. Au contraire, chacun notamment en Europe mesure bien les avantages qu’il y aurait à inclure la Russie dans une sorte de Congrès de Vienne à vocation économique, qui permettrait d’ailleurs à ladite Russie de retrouver le chemin du développement. Ce n’est pas à l’Occident que l’on peut imputer la responsabilité d’une doctrine nationaliste et xénophobe dominante à Moscou. Il est donc plus que jamais important pour les Européens de rester unis et déterminés. 

Jean-Marie Colombani

 

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