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L’Amérique en pleine paranoïa, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Le nouvel épisode WikiLeaks, concernant cette fois l’écoute par l’agence de sécurité américaine NSA des trois derniers présidents français, attire l’attention sur une nouvelle maladie contemporaine : la folie des écoutes. Non qu’il faille amoindrir le renseignement, au risque d’être désarmé face au terrorisme. Mais en l’espèce, il s’agit d’espionnage entre amis.

Cette affaire est d’abord rassurante pour les Français : jusqu’à présent, les Américains étaient censés n’avoir espionné qu’Angela Merkel. Comme si les présidents français ne pesaient rien. Non ! Ils sont au moins aussi importants que la chancelière allemande : l’honneur est sauf. Plus sérieusement, nous vivons en plein paradoxe.

Aujourd’hui, les technologies modernes ont mis à portée de tous des capacités jusqu’alors réservées aux services de contre-espionnage. Désormais tout le monde écoute tout le monde. Bien sûr pour des motifs de sécurité. Mais aussi en cédant à la tentation de la basse police, contre des adversaires politiques, et de façon systématique pour de l’espionnage industriel. Les juges ne sont pas en reste, et ne se cantonnent pas nécessairement à la lutte anti-mafia… Le paradoxe est le suivant : jamais les écoutes n’ont été aussi abondantes, surabondantes même ; jamais la menace terroriste n’a été aussi élevée, les terroristes aussi nombreux, les mafias aussi puissantes.

S’agissant de la lutte anti-terroriste, pour laquelle le renseignement est en effet décisif, il y a, aux Etats-Unis, dix-sept agences (six en France, une dizaine en Grande-Bretagne). Que font-elles ? Lesquelles n’ont ni pu ni su empêcher le 11 Septembre. A qui obéissent-elles ? Qui est capable de les contrôler, malgré les compétences, aux Etats-Unis, du Congrès ? La CIA a souvent été dénoncée pour sa liberté d’action, notamment vis-à-vis du président. Pour ne pas remonter jusqu’à Edgar Hoover qui, à la tête du FBI, (fondé par lui en 1935 et dirigé jusqu’à sa mort en 1972) avait construit un Etat dans l’Etat qui espionnait les présidents, voire les "tenaient"…

Quant à la NSA, personne ne peut mesurer sa puissance réelle. On sait seulement que son budget est nettement plus grand que celui de la CIA. Installée dans le Maryland, elle est le deuxième plus gros consommateur d’électricité de cet Etat ! Ses dirigeants peuvent parfaitement décider d’écouter qui ils veulent. Même des "amis" des Etats-Unis ? Nous n’avons pas d’amis, disent-ils, nous n’avons que des "cibles"…

Une part non négligeable de l’activité de ces agences est consacrée à l’espionnage économique,  à la "guerre économi­que", disait François Mitterrand, dont les Chinois n’ont pas le monopole. Souvenons-nous de la dénonciation, par l’ancien Premier ministre français Edith Cresson, du système Echelon, situé en Europe et destiné à écouter l’Europe. Celle qui était alors députée européenne avait été aussitôt victime de "révélations"… De ce point de vue, le pire est peut-être à venir car il y a le soupçon d’une collaboration des services allemands avec la NSA, aux dépens de grands groupes européens, dont Airbus.

Mais ni la relation franco-allemande ni celle que les Etats-Unis – du moins le gouvernement – entretiennent avec leurs alliés ne devraient en souffrir, au ­regard de l’urgence qui se matérialise dans une coopération et une aide de tous les instants, là où sévit le terrorisme. Sur les théâtres d’opérations africains, aucun Européen, par exemple, ne peut mener des opérations militaires sans assistance logistique et de renseignement américaine. L’hyperpuissance américaine du renseignement est une réalité et notre ­sécurité en dépend en partie. Mais l’Amérique, en proie à une forme de paranoïa, est comme souvent incapable de se fixer elle-même des limites. 

 

Jean-Marie Colombani

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