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Faire la fête est interdit au Tadjikistan

Prière avant le repas dans le village de Garm, à 250 km de Douchanbé, la capitale du Tadjikistan.[VYACHESLAV OSELEDKO / AFP]

Quand Amirbek Isaïev, jeune informaticien, a invité ses amis pour son 25ème anniversaire dans un café de la capitale du Tadjikistan, Douchanbé, il ne s'attendait pas à être puni par les autorités, réalisant à ses dépens que faire la fête est désormais réservé à l'élite.

 

Les festivités étaient pourtant modestes. Sur le gâteau ne trônait aucune bougie et aucune inscription n'indiquait qu'un anniversaire était sur le point d'être célébré.

"L'addition est arrivée avec un total d'un peu plus de 80 dollars pour treize personnes, mais la note s'est au final avérée être beaucoup plus salée", raconte amèrement Amirbek.

Des photos de la sobre célébration ont été mises en ligne sur Facebook et deux mois plus tard, un tribunal condamnait le jeune homme à une amende de près de 600 dollars.

En 2007, le Tadjikistan a en effet adopté une loi interdisant de célébrer son anniversaire en public, entendant mettre fin à une pratique jusque-là courante dans ce pays pauvre d'Asie centrale: l'organisation de fêtes démesurées au coût exorbitant.

"C'est une injustice énorme", regrette l'informaticien, actuellement au chômage et qui ne peut se permettre de payer l'amende. Il entend faire appel de sa condamnation.

 

Deux poids deux mesures

Si l'histoire d'Amirbek peut faire sourire en Occident, elle est pour beaucoup au Tadjikistan le symbole de la politique de "deux poids, deux mesures" appliqué par les autorités, elles-mêmes réputées pour leurs dépenses lors de fêtes grandioses, notamment lors de mariages.

En 2013, une vidéo diffusée sur YouTube montrait le président Emomali Rakhmon, au pouvoir depuis plus de 20 ans, en train de chanter et de danser lors du fastueux mariage de son fils aîné.

La loi de 2007 limite notamment le nombre d'invités autorisés aux mariages et aux enterrements. Elle a été adoptée alors que des familles entières s'étaient lourdement endettées pour l'organisation de tels événements, dont le faste est associé à un certain rang social dans le pays.

Zafar Abdullayev, un commentateur politique réputé, estime qu'il y a bien des "raisons objectives" expliquant l'adoption d'une telle loi, mais que celle-ci affecte avant tout les familles pauvres, et d'une manière disproportionnée.

"Les amendes représentent des sommes énormes pour ces familles: entre trois et six mois de salaire", explique-t-il à l'AFP. "Mais pour les riches du pays qui violent cette loi, dont beaucoup sont liés à la classe dirigeante, ces amendes ne représentent pas grand chose."

 

Inégalités et népotisme

Les inégalités et le népotisme sont des sujets d'inquiétude courants au Tadjikistan depuis l'implosion de l'Union soviétique et l'arrivé au pouvoir d'Emomali Rakhmon en 1992.

"Ces dernières années, des proches de l'élite au pouvoir ont été impliqués dans du trafic de drogue, des fusillades avec la police et des accidents mortels avec délit de fuite", rappelle Edward Lemon, chercheur spécialiste du pays à l'université d'Exeter, en Grande-Bretagne.

"Ils s'en sont tous sortis avec de faibles condamnations, alors même que des gens ordinaires auraient écopé de peines très sévères", explique-t-il à l'AFP.

Comble de l'ironie, le président Rakhmon a nommé en mars son fils aîné Roustam à la tête de l'agence nationale chargée de lutter contre la corruption.

Son fils cadet, Somoni, a fait malgré lui la une de la presse l'année dernière, lorsqu'un enfant se faisant passer pour lui a extorqué plus de 50.000 dollars à un entrepreneur en lui promettant des terres. Bien que l'imposteur ait été arrêté en mai, l'incident illustre pour beaucoup le manque de confiance de la population en l'État de droit.

Le mois dernier, les autorités du Tadjikistan ont néanmoins pris des mesures pour tenter de lutter contre l'impunité des élites, en publiant notamment une liste de noms de vedettes de la chanson accompagnée de toutes leurs amendes non payées pour violations du code de la route.

Mais au même moment, la police du pays s'illustrait en arrêtant des zombies et des sorcières lors d'une fête costumée pour Halloween ou en rasant de force les barbes de musulmans pratiquants.

Les rumeurs de rasages forcés, dont la police dément être responsable, ont donné lieu à une vague d'escroquerie au cours de laquelle de faux fonctionnaires vendaient des permis de port de barbe aux citoyens.

"Au Tadjikistan, la liberté d'expression est sévèrement limitée, la torture est largement répandue au sein de la police et la même classe politique est au pouvoir depuis plus de 20 ans", rappelle Edward Lemon.

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