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Dix ans après, les caricatures danoises de Mahomet nourrissent toujours le débat

De jeunes Palestiniens défilent à Hébron, en Cisjordanie, le 13 février 2006 avec un faux cercueil ceint d'un drapeau danois sur lequel est inscrit "Mort au Danemark" [HAZEM BADER / AFP/Archives] De jeunes Palestiniens défilent à Hébron, en Cisjordanie, le 13 février 2006 avec un faux cercueil ceint d'un drapeau danois sur lequel est inscrit "Mort au Danemark" [HAZEM BADER / AFP/Archives]

Dix ans après leur publication, les caricatures de Mahomet parues dans un journal danois suscitent encore le débat, aujourd'hui pour savoir ce qu'elles ont changé pour la liberté d'expression.

 

Ces douze dessins, publiés par le quotidien Jyllands-Posten le 30 septembre 2005, montraient le prophète portant une bombe au lieu d'un turban, ou un nomade armé d'un couteau flanqué de deux femmes voilées de noir.

Les attentats déjoués contre le Jyllands-Posten, ainsi que l'attentat meurtrier contre l'hebdomadaire Charlie Hebdo à Paris en janvier, magazine qui les avait reproduits, ont changé la vision de l'islam et de l'immigration dans beaucoup de rédactions européennes. Mais savoir comment reste une question délicate.

"Dans beaucoup de médias, cela a instillé une peur de traiter de la perception par les musulmans de certains tabous", estime Anders Jerichow, éditorialiste international du quotidien Politiken. "Et je pense que c'est malheureux aussi bien pour le monde musulman que pour le reste du monde".

Après l'attaque au fusil d'assaut qui a fait douze morts, Charlie Hebdo a été critiqué par des publications en Russie, en Chine ou Malaisie, autant de pays où la liberté d'expression connaît des restrictions, pour avoir offensé l'islam.

Des journalistes occidentaux, notamment en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, sont eux aussi mal à l'aise avec la liberté d'expression telle que la pratique le magazine satirique français.

 

Polarisation

Depuis l'affaire du Jyllands-Posten, "les attitudes vis-à-vis de la liberté d'expression se sont polarisées", estime Angela Phillips, professeur de journalisme au Goldsmiths College de Londres.

Selon elle, la violence engendrée par de simples dessins "a fait davantage réfléchir certains journalistes à la façon dont ils représentaient les minorités", alors que "dans d'autres cas, je pense que cela a rendu pas mal de journalistes moins sensibles à ces questions".

La représentation des prophètes est strictement interdite par l'islam sunnite et ridiculiser ou insulter le prophète Mahomet est traditionnellement vu comme passible de la peine de mort.

Au Moyen-Orient, beaucoup d'universitaires sunnites restent favorables à une tolérance zéro, tandis que d'autres défendent des réponses pragmatiques.

La faculté Al-Azhar du Caire, grand centre d'études sunnites, avait par exemple condamné en janvier les dessins de Charlie Hebdo, mais appelé les musulmans à les ignorer. "La stature du prophète de la miséricorde est plus grande et plus noble que d'être entachée par des dessins qui ne respectent aucune morale ou norme de civilisation", écrivait-elle.

Cet appel n'a pas vraiment apaisé la crispation dans le monde musulman.

"Et cette polémique ne se limite pas à la région: les caricatures engendrent aussi de la colère et de l'indignation chez beaucoup de musulmans aux États-Unis et en Europe", souligne Scott Stewart, analyste de la société de renseignement américaine Stratfor. "Fort heureusement, beaucoup ne transforment pas cette colère en violence".

La menace vient surtout, d'après lui, de groupes islamistes radicaux qui instrumentalisent les caricatures pour "amener des jihadistes de base à mener des attaques violentes en Occident".

 

"Trop dangereux"

C'est ainsi qu'en février à Copenhague, un Danois d'origine palestinienne, Omar El-Hussein, ouvrait le feu dans un centre culturel où se tenait un débat sur la liberté d'expression auquel participaient l'ambassadeur de France et l'artiste suédois Lars Vilks, qui en 2007 avait représenté Mahomet en chien. L'homme a ensuite attaqué une synagogue. Il a tué deux personnes avant d'être abattu par la police.

Pour le Jyllands-Posten, la décision de publier les caricatures, ce que la rédaction voyait comme "la routine", a eu des répercussions spectaculaires.

Le siège du journal danois Jyllands-Posten le 29 décembre 2010 à Copenhague [Martin Sylvest Andersen / SCANPIX/AFP/Archives]
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Le siège du journal danois Jyllands-Posten le 29 décembre 2010 à Copenhague
 

Le courrier est soigneusement inspecté avant d'être ouvert, les fenêtres sont conçues pour résister aux bombes et les alarmes incendie qui autrefois faisaient sortir les salariés dans la rue peuvent les forcer à gagner des salles fortifiées.

Le quotidien a été en janvier le seul du pays à ne pas reproduire de dessin de Charlie Hebdo.

Les médias danois devraient largement évoquer l'affaire des caricatures dix ans après, mais sans les montrer. "Ce serait considéré comme trop dangereux", confirme à l'AFP l'auteur d'un de ces dessins, Kurt Westergaard.

Flemming Rose, l'ancien chef de la rubrique culture qui avait demandé à des caricaturistes de représenter Mahomet, a récemment qualifié de "naïve" sa décision de l'époque.

Pour lui, aujourd'hui il est normal de ne pas republier les dessins, tant qu'on dit ouvertement pourquoi. "Il ne faut pas pointer du doigt les gens parce qu'ils ont peur. Mais on a le droit de montrer du doigt ceux qui ne sont pas sincères quant à leurs craintes et essaient de trouver d'autres justifications", avait-il déclaré à Politiken.

 

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