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Corée du Nord : les experts sceptiques

Les données sismologiques suggèrent que l'explosion a été considérablement moins forte que celle qu'on attendrait d'un essai de bombe H.[SAM YEH / AFP]

Les spécialistes du nucléaire ont accueilli mercredi avec le plus grand scepticisme l'annonce nord-coréenne d'un premier essai de bombe H, l'activité sismique détectée correspondant selon eux à l'explosion d'un engin bien moins puissant.

Les experts s'étaient déjà montré dubitatifs en décembre 2015 quand le leader nord-coréen Kim Jong-Un avait laissé entendre que son pays avait mis au point la bombe à hydrogène.

Avant l'annonce nord-coréenne, les premiers soupçons sur un nouvel essai de Pyongyang, à deux jours de l'anniversaire de Kim Jong-Un, ont émergé de l'enregistrement par des sismologues d'une secousse de magnitude 5,1 à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Kilju, soit tout près du site d'essais nucléaires de Punggye-ri.

"Les données sismologiques suggèrent que l'explosion a été considérablement moins forte que celle qu'on attendrait d'un essai de bombe H", a déclaré le spécialiste de la politique nucléaire Crispin Rovere, basé en Australie. "A première vue, il semblerait qu'ils aient mené un essai nucléaire réussi mais n'ont pas réussi à mener à bien la deuxième étape, celle de l'explosion d'hydrogène".

Pour certains experts des questions nord-coréennes, Kim Jong-Un est en quête d'un "succès" dont il pourrait se prévaloir en mai, quand le Parti des travailleurs, le parti unique au pouvoir, organisera son premier congrès en 35 ans. "Je ne pense pas que c'était une bombe H car l'explosion aurait été bien plus forte", estime également Choi Kang, vice-président de l'Institut pour les études politiques, basé à Séoul. "Je pense qu'ils le présentent comme un essai de bombe H parce que Kim Jong-Un l'a récemment mentionné."

Fusion ratée?

Les bombes A libèrent une énergie déclenchée par la fission d'éléments comme l'uranium ou le plutonium. Leur puissance est bien moindre que celle de bombes à hydrogène -ou thermonucléaires- qui utilisent d'abord la technique de la fission, puis celle de la fusion nucléaire dans une réaction en chaîne. 

Régime le plus isolé au monde, la Corée du Nord est coutumière des assertions invérifiables sur son programme nucléaire. Elle a même prétendu être en mesure de frapper le territoire américain, ce que les experts jugent faux, du moins dans l'immédiat.

En septembre toutefois, l'Institut pour la science et la sécurité internationale (ISSI) avait mis en garde contre ce qui semblait être une nouvelle "cellule chaude" -- enceinte destinée au traitement de matières radioactives -- en construction à Yongbyon, principal complexe nucléaire nord-coréen. Celle-ci pourrait servir à la séparation d'isotopes et à la production de tritium, avait estimé l'ISSI. Le tritium est un des isotopes de l'hydrogène, et un des composants clés pour la fabrication de bombes thermonucléaires. Bruce Bennett, analyste à la Rand Corporation, doute également des affirmations de Pyongyang.

Kuo Kai-wen, directeur du Centre sismologique de Taïwan, montre les courbes du sismographe après le premier test de bombe à hydrogène annoncée par la Corée du Nord, le 6 janvier 2016 à Taipei [SAM YEH / AFP]
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Kuo Kai-wen, directeur du Centre sismologique de Taïwan, montre les courbes du sismographe après le premier test de bombe à hydrogène annoncée par la Corée du Nord, le 6 janvier 2016 à Taipei

"S'il s'était agi d'une véritable bombe H, le relevé de l'échelle de Richter aurait dû être 100 fois plus élevé, d'une magnitude de l'ordre de 7", a-t-il dit à l'AFP. Pour Bruce Bennett, l'explosion de mercredi correspondait à un engin de 10 à 15 kilotonnes, de la taille de celle larguée sur Hiroshima en 1945. S'il s'agissait d'une bombe H, il se peut selon lui que la fusion ait échoué, ou que la fission ne se soit pas correctement produite.

Fission dopée?

Reste que la puissance de l'explosion augmente le risque de provoquer un séisme ainsi qu'une contamination radioactive, ce qui ne peut qu'inquiéter la Chine voisine. Kim Jong-Un a réalisé un essai "dont les experts du monde entier diront qu'il a échoué. Va-t-il désormais se sentir obligé d'en faire un nouveau d'ici le congrès de mai pour prouver au monde les capacités de la Corée du Nord?", demande M. Bennett. Peu après l'annonce de l'explosion, les renseignements sud-coréens (NIS) ont également jugé lors d'un briefing de députés sud-coréens qu'elle ne pouvait être celle d'une bombe à hydrogène.

Les deux premiers essais nucléaires nord-coréens, en 2006 et 2009, avaient été réalisés avec des engins au plutonium. Le troisième, en 2013, incluait vraisemblablement - ce qui n'a pas été confirmé - de l'uranium. Pour Seong Chai-Ki, chercheur à l'Institut coréen pour les analyses de défense, l'explosion de mercredi était plus probablement celle d'une bombe à fission dopée -- où la fusion entre aussi en jeu- souvent considérée comme une étape intermédiaire avant la bombe H. "Certains s'attendaient à ce que la Corée du Nord teste d'abord une bombe à fission dopée, avant d'essayer directement une bombe à hydrogène", a-t-il observé.

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