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Quand des enfants d'un camp de réfugiés font du street-art

John pose devant sa reproduction d'une oeuvre de Seth John, un Sud-soudanais de 12 ans, pose devant sa reproduction d'une oeuvre de Seth, dans le camp de Bidibidi (Ouganda)[Visions Du Monde]

L’ONG Vision du monde, associée au collectif d’artistes Apartial, mène un projet en Ouganda pour tenter d’apporter «des couleurs et de l’espoir» aux enfants du camp de réfugiés de Bidibidi, l’un des plus grands du monde (280.000 personnes dont 68% d’enfants).

Dans ce camp du nord de l’Ouganda, Vision du Monde a mis sur pied un espace réservé aux enfants, dans lequel des éducateurs proposent aux jeunes déracinés de renouer avec l’apprentissage à travers la pratique de diverses activités (chant, dessin, lecture, etc). L’ONG a installé des espaces du même genre dans une grande partie de la centaine de pays dans laquelle elle est présente, mais celui de Bidibidi est spécial.

Ici, Vision du Monde initie les enfants au street-art, en leur proposant de copier des œuvres d’artistes partenaires, tels que JR, Herakut ou encore Sandra Chevrier. A l’occasion de la journée mondiale des réfugiés, l’un d’eux, Seth (Julien Malland de son vrai nom), revient sur l’intérêt d’une telle opération.

A votre avis, pourquoi avez-vous été sélectionné ?

Je dirais que c’est parce que je peins beaucoup d’enfants, et que l’ONG va travailler avec des enfants. Peut-être aussi parce qu’il y a de l’espoir dans mon travail. Je ne fais pas de critique cynique ou sarcastique du monde, mes fresques sont plutôt bienveillantes donc facile d’accès, et je traite des thèmes universels.

Vous définiriez-vous comme un artiste engagé ?

Dans les peintures que je fais, je ne suis pas engagé. Je ne fais pas de revendications politiques, ou de critique du système de manière frontale. L’un de mes axes de travail, ce sont des fresques représentant des gens de dos, ce qui permet aux gens d’imaginer les visages, de se s’approprier l’œuvre ou de s’y identifier. Mes personnages regardent vers quelque chose, dans des cercles de couleur qui représentent pour moi l’imaginaire de chacun. L’idée, c’est plutôt de dire «ouvrez vos yeux, regardez les choses différemment, chacun peut voir le monde à sa manière ou se créer son propre monde. Arrêtez de suivre ce qu’on vous dit à longueur de journée sur internet, à la télé ou je ne sais où».

Pour les enfants déracinés, peindre sur les murs, c'est une manière de s'ancrer dans un lieuSeth, street-artiste

Avez-vous déjà travaillé avec des réfugiés ?

Oui, en France. Ca remonte à une dizaine d’années maintenant ! J’avais travaillé avec des mineurs isolés à Paris. Ce sont des réfugiés, mineurs, qui n’ont pas de parents et qui sont dans des centres. Avec eux, on avait peint un mur sur lequel ils avaient tous écrit leur nom sous forme de graffitis. Cela leur avait beaucoup plu, parce que pour eux, c’était une manière de s’ancrer en ce lieu, de se l’approprier. Et pour des enfants qui étaient en France, un peu perdus, attendant une famille d’accueil ou de retrouver leur parent, c’était très important de peindre ce mur dans la rue, qui allait rester. Cela leur donnait un ancrage, et puis une fierté, parce qu’ils sont passés devant tous les jours et y ont vu leur nom. Ils font partie du paysage maintenant. L’idée est un peu la même pour le projet en Ouganda.

Pourquoi la démarche de Vision du Monde est-elle importante ?

On voit toujours les images des enfants dans des camps de réfugiés. On est saturés d’images de misère dans nos pays. C’est important d’essayer de faire s’exprimer ces enfants, de voir ce qu’il y a dedans, et pas seulement l’extérieur. Pas seulement l’image. Voir qu’ils ont des rêves, des envies, et peut-être que ça touchera les gens, et que ça fera un peu bouger les choses. Pour eux, le fait de s’exprimer est une vraie thérapie. Je l’ai vu à chaque fois que je vais peindre avec des enfants, il se passe vraiment quelque chose. Extérioriser, c’est une manière de lutter aussi. De ne pas accepter totalement cette réalité qui vous annihile, de montrer le «pouvoir de l’imaginaire». De montrer qu’il y a peut-être toujours un futur, ou un espoir, ou quelque chose derrière. En ce sens, c’est comme une arme.

L'idée, c'est aussi de donner aux enfants l'envie de penser à autre chose pendant dix minutesSeth, street-artiste

Que répondez-vous aux gens qui s’étonnent qu’on mobilise des ressources autour d’un projet de street-art, dans des régions où les besoins premiers sont la nourriture et les soins ?  

Que ça revient à dire que la culture n’a pas sa place dans un monde où il y a des problèmes. Même à Paris, des gens dorment dans la rue. Doit-on pour autant arrêter de faire de la culture, du théâtre, de la musique ? Doit-on mettre toutes nos ressources dans l’aide aux gens ? Je pense que non, ça ne marche pas. Ce qui fait vivre les gens, ce sont aussi les rêves, c’est l’imaginaire, et ça n’est pas seulement manger. Mais c’est une critique que je comprends tout à fait, et qui revient.

C’est une façon de redonner de l’espoir ?

Espoir, c’est un mot un peu gros. Je ne sais pas si c’est de l’espoir, mais en tout cas, c’est déjà leur donner l’envie de penser à autre chose pendant dix minutes. Parce que les enfants, quand ils vont peindre, ils ne vont pas forcément penser à leur situation. C’est un truc que j’ai constaté dans plein d’endroits. Quand on donne un papier à un gamin qui passe ses journées à mendier pour survivre, si on lui donne le moyen de s’exprimer et de penser à autre chose, il y va, directement. Pour lui, c’est un moyen de fuir un peu cette situation. C’est une sorte de thérapie. Ca va nourrir l’âme plutôt que l’estomac, mais c’est très important aussi. Je ne dis pas que l’art sauvera le monde, mais l’art peut sauver les gens, au moins intérieurement, dans leur psychisme. 

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