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La semaine de Philippe Labro : une seconde pour décider, neuf secondes pour oublier

Le jeune Kylian Mbappé a «la capacité de résoudre le jeu», comme le dit le légendaire footballeur brésilien Pelé. Le jeune Kylian Mbappé a «la capacité de résoudre le jeu», comme le dit le légendaire footballeur brésilien Pelé. [FRANCK FIFE / AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

DU LUNDI 1ER AU VENDREDI 5 AVRIL

Entre l’ignoble et le noble, il faut choisir le second. Entre l’insupportable et l’exemplaire, il faut aller vers le second. Je m’explique : il y a eu, dans l’actualité de cette semaine, deux éléments pour illustrer mes choix.

Dimanche dernier, à Paris, une femme transgenre, Julia, est agressée à la sortie du métro. Des hommes la frappent, l’insultent, effectuent des gestes obscènes, font preuve des plus bas instincts. Julia sera protégée et sauvée, de ce qui aurait pu être un lynchage, par des agents de la RATP – au passage, saluons leur civisme. Tout ceci a été capté par un smartphone, et l’ignoble a fait son chemin sur les réseaux sociaux. Le lendemain, après l’ignoble, on va accéder au noble. Quelques images d’un miniconcert de 30 minutes, donné à l’hôpital Gustave-Roussy, à Villejuif, par le violoniste Renaud Capuçon et le pianiste Guillaume Bellom. Dans ce centre de cancérologie de l’enfant, de jeunes patients et des membres du personnel soignant ont vu et entendu la beauté et la pureté de la musique. 

Capuçon et Bellom voyagent dans le monde entier. Leurs agendas sont calibrés, organisés, pleins comme des œufs. Il n’empêche, les deux jeunes interprètes français (Capuçon a 43 ans, Bellom en a 27) ont pris le temps d’aller vers ceux qui souffrent et leur prodiguer une émotion musicale. Julia, place de la République, Capuçon et Bellom, à Villejuif, deux séquences de la vie contemporaine. Le laid et le beau. L’inacceptable et le méritant.

MERCREDI 3 AVRIL

Jolie surprise : je reçois un livre de Bruno Patino, à paraître chez Grasset, le 10 avril prochain : La civilisation du poisson rouge – brillante démonstration de ce qui arrive à toute la génération des «millennials», celles et ceux qui sont nés avec le siècle. La métaphore est simple : les informaticiens de Google ont réussi à calculer la durée maximale d’attention d’un poisson rouge : huit secondes. Eh bien, ces mêmes ingénieurs évaluent la durée d’attention des gens qui ont grandi avec les écrans connectés : neuf secondes !

Patino, dans ce livre bien écrit, pertinent et alarmant, pose toutes les questions sur le phénomène qui conduit des millions de gens à passer cinq heures par jour devant leur smartphone, à dépendre des «signaux qui encombrent». A coup de chapitres efficaces et appuyés sur des chiffres, récits et références majoritairement américaines, Patino décrit les dangers de la «société numérique qui ressemble à un peuple de drogués hypnotisés par l’écran».

De là, toutes sortes de pathologies, une liberté perdue, une anxiété constante, et ce nouveau mot : «l’athazagoraphobie», c’est-à-dire la peur d’être oublié. Il passe en revue les risques de l’intelligence artificielle, les pièges des algorithmes. Il dit qu’il faut avoir «non plus accès à la connexion, mais à la déconnexion», au silence, à la méditation, échapper aux stimuli électriques pour, simplement, se retrouver. Il y a, selon lui, une voie possible : «La vie en société.» Je conseille la lecture de cet ouvrage, afin de n’être jamais réduit à neuf secondes d’attention, soit une de plus que «l’animal stupide qui tourne sans fin dans son bocal».

JEUDI 4 AVRIL

Je lis dans Le Parisien le compte rendu de la visite du légendaire footballeur Pelé à Paris. L’homme aux 1.284 buts a rencontré le jeune Kylian Mbappé, sous l’égide de leur sponsor commun, la marque de montres Hublot. D’un entretien avec deux confrères du Parisien, je retiens que Pelé, parlant de Mbappé, dit : «Il possède la capacité de résoudre le jeu. De comprendre et de trouver une solution en une seconde.» Il est intéressant de noter que le roi Pelé, 78 ans, parle en termes de «secondes» – mais ce ne sont pas celles du poisson rouge. «Résoudre le jeu», belle formule, belle intelligence, qui n’a rien d’artificiel. Belle injonction à ceux qui gouvernent autant qu’à ceux qui voudraient gouverner.

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