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Pourquoi la mort d'al-Baghdadi ne signifie pas la fin de Daesh

Selon Pierre-Jean Luizard, directeur de recherches au CNRS, Abou Bakr al-Baghdadi n'était que «le porte-drapeau et l'un des porte-parole» de Daesh. Selon Pierre-Jean Luizard, directeur de recherches au CNRS, Abou Bakr al-Baghdadi n'était que «le porte-drapeau et l'un des porte-parole» de Daesh. [AFP]

Elle a maintes fois fait l'objet de rumeurs, mais elle est aujourd'hui confirmée. La mort du chef de Daesh, Abou Bakr al-Baghdadi, au cours d'une opération militaire américaine dans le nord-ouest de la Syrie, a été annoncée par Donald Trump ce dimanche 27 octobre. S'il s'agit d'un véritable coup porté au groupe terroriste, les dirigeants internationaux et les experts s'accordent à dire que son décès est loin de signifier la fin de Daesh.

Emmanuel Macron, Boris Johnson, Benjamin Netanyahou... Tous ces chefs d'Etat ont salué la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi, tout en avertissant que la guerre contre le groupe jihadiste n'était pas terminée. Il s'agit «d'un coup dur porté contre Daesh, mais ce n'est qu'une étape. Le combat continue avec nos partenaires de la coalition internationale pour que l'organisation terroriste soit définitivement défaite», a notamment tweeté le président français dimanche.

Un simple pion dans l'organisation de Daesh

Même si Abou Bakr al-Baghdadi était une figure importante dans l'organigramme du groupe terroriste, cette perte est avant tout symbolique. «Il n'était pas à l'origine de la politique de Daesh, dont le pouvoir exécutif réside dans des acteurs locaux. Il n'en était que le porte-drapeau et l'un des porte-parole», explique Pierre-Jean Luizard, directeur de recherches au CNRS et historien spécialiste du Moyen-Orient. Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences Po-Paris, abonde : «Il n'est pas certain qu'une telle perte symbolique affecte fondamentalement la direction opérationnelle de Daesh, depuis longtemps aux mains de professionnels aguerris.»

Et Wassim Nasr, journaliste à France 24 et auteur de Etat ­islamique, le fait accompli (éditions Plon), de rappeler que la mort d'une seule personne ne remet rien en cause pour Daesh. «Le propre du jihadisme est la non-personnification du pouvoir, c'est l'idéologie qui compte», note-t-il. Une situation à rapprocher de la mort d'Oussama Ben Laden, en 2011, qui n'avait pas mis fin à al-Qaïda.

Un nouveau chef de Daesh va ainsi être nommé dans les mois à venir, dont on ne connaît pas l'identité. «La disparition d'al-Baghdadi ne va pas changer grand-chose, il sera remplacé facilement», présage Pierre-Jean Luizard.

Des cellules dormantes pourraient se réveiller

Paradoxalement, la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi risque de menacer la sécurité des populations, au Moyen-Orient mais également en Occident. En effet, malgré la fin du «califat» de Daesh en mars dernier, annoncé suite à la reprise du dernier réduit de l'organisation terroriste en Syrie, à Baghouz, «des centaines de cellules dormantes continuent à exister dans les camps de réfugiés en Syrie et en Irak», affirme Pierre-Jean Luizard.

Et les Forces démocratiques syriennes (FDS), pilier de la lutte contre les jihadistes au Moyen-Orient, s'attendent à des représailles. «Les cellules dormantes vont venger Baghdadi. Donc on s'attend à tout, y compris des attaques contre les prisons» gérées par les forces kurdes, a indiqué à l'AFP Mazloum Abdi, commandant des FDS. Des prisons dans lequelles sont détenus 12.000 jihadistes de Daesh : des Syriens, des Irakiens mais aussi 2.500 à 3.000 étrangers originaires de 54 pays.

Par ailleurs, ces cellules dormantes - présentes en Syrie et en Irak, mais aussi au Nigeria, en Afghanistan, en Libye, ou encore en Egypte - pourraient perpétrer des attentats en Europe, craignent les autorités. Comme en témoigne une note, adressée par le ministère de l'Intérieur français aux préfets, qui les appelle à «une vigilance accrue» et alerte sur le risque d'«actes de vengeance» suite à la mort d'Abou Bakr al-Baghdadi.

«Le mouvement est résilient sur le plan opérationnel et va capitaliser sur la mort d'al-Baghadi pour recruter et appeler à de nouvelles attaques», prévient Rita Katz, directrice de SITE Intelligence Group, un groupe américain spécialisé dans la surveillance des mouvements jihadistes, dans une série de tweets publiés dimanche.

Une idéologie toujours présente

«L'idéologie de Daesh est toujours aussi présente», déclarait à CNews Wassim Nasr en décembre dernier. Et la mort de son chef, ajoutée à la fin de son territoire en mars dernier, ne change rien. «La mort d'un chef ne signifie pas la mort d'une idéologie. Le jihadisme contemporain remonte aux années 70. Daech en a été la dernière incarnation après al-Qaïda. Cette idéologie s'est répandue de manière exceptionnelle au cours des dernières années», commente sur Franceinfo Myriam Benraad, politologue spécialiste du monde arabe.

Une idéologie qui a prospéré à l'aide d'une propagande agressive et moderne, via des vidéos et les réseaux sociaux, «qui a poussé des Européens et des Français à rejoindre cette organisation au Levant», souligne la ministre des Armées Florence Parly dans une interview au Parisien. «Oui, la propagande a été un moyen de recrutement et d'influence très fort. Et bien sûr, la mort d'Al-Baghdadi ne signe pas l'arrêt de cette propagande», poursuit-elle.

Un groupe qui profite du chaos au Moyen-Orient

Au Moyen-Orient, la situation est actuellement hautement inflammable, autant sur le plan politique que sécuritaire. Depuis quelques jours, des manifestations monstres ont lieu notamment en Irak, réclamant «la chute du régime», ainsi qu'au Liban, qui exigent le départ de l'ensemble de la classe politique au pouvoir.

«On voit aujourd'hui l'effondrement successif des Etats arabes du Moyen-Orient, rejetés par la majorité de la population», note Pierre-Jean Luizard. Des contestations qui représentent un terreau idéal pour l'organisation terroriste. En effet, elles «ne trouvent aucun débouché politique, ce qui constitue une aubaine pour Daesh, qui prend en otage les populations sunnites [la branche majoritaire de l'islam, NDLR] pour s'imposer comme leur parrain et leur grand protecteur», poursuit l'expert.

Le chaos sécuritaire en Syrie, avec l'opération militaire de la Turquie dans le nord-ouest du pays contre les forces kurdes, stoppée la semaine dernière grâce à un accord entre Moscou et Ankara, profite également à Daesh. Selon les Etats-Unis, plus de 100 prisonniers jihadistes ont réussi à s'échapper durant l'offensive lancée par Recep Tayyip Erdogan.

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