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En Allemagne, l'inquiétante montée du terrorisme d'extrême droite

En Allemagne, les démons du passé ressurgissent. La piste d'un acte «xénophobe» est privilégiée après les deux fusillades visant des bars à chicha mercredi soir à Hanau, dans le centre du pays, qui ont fait neuf morts. Une hypothèse qui ne ferait que confirmer l'inquiétant essor du terrorisme d'extrême droite, dans un Etat pourtant encore très marqué par les atrocités du régime nazi.

Ces derniers mois, l'extrême droite a régulièrement fait la une des médias allemands. La dernière fois pas plus tard que la semaine dernière. Vendredi 14 février, douze membres d'un groupuscule d'extrême droite ont été arrêtés dans toute l'Allemagne puis placés en détention. Soupçonnés de préparer des attentats de grande ampleur contre des mosquées du pays, ils voulaient imiter l'attentat de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en mars 2019, lors duquel un suprémaciste blanc, Brenton Tarrant, avait tué 51 personnes dans deux édifices religieux musulmans, tout en se filmant en direct sur Facebook.

Une menace d'extrême droite qui a commencé à particulièrement alarmer les autorités allemandes l'été dernier, à la suite d'un événement tragique, qui a créé une onde de choc dans le pays. Le 2 juin 2019, Walter Lübcke, un élu local pro-migrants, membre de la CDU (le parti de la chancelière Angela Merkel), est retrouvé mort sur la terrasse de sa maison. Le suspect, un néonazi déjà condamné en 1993 pour une attaque à l’explosif contre un foyers d’étrangers, avoue l'assassinat, avant de se rétracter. Il a depuis été placé en détention.

Pour Nele Katharina Wissmann, chercheuse associée au Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa), «ce meurtre donne une autre dimension au terrorisme d’extrême droite», écrit-elle dans une note publiée en décembre dernier par l'Institut français des relations internationales (Ifri). «Pour la première fois dans l’histoire de la République fédérale d’Allemagne (RFA), en effet, l'extrême droite a commis un assassinat politique en abattant un représentant de l’État», souligne-t-elle.

Hausse du nombre d'actes xénophobes et antisémites

Une attaque, suivie d'une autre seulement quatre mois plus tard, à Halle, dans l'ex-Allemagne de l'Est. Le 9 octobre, un jeune homme aux convictions d'extrême droite et négationniste avait tenté de commettre un attentat dans une synagogue. Il n'était finalement pas parvenu à y entrer, et avait alors abattu au hasard une passante et un client dans un kebab, diffusant sur internet ses forfaits.

Au-delà de ces événements qui ont marqué l'opinion, les chiffres confirment cette dégradation du climat public en Allemagne. Les actes criminels à caractère xénophobe et antisémite ont en effet augmenté de près de 20 % dans le pays en 2018 selon le ministère allemand de l’Intérieur. Cette année-là, 7.701 actes criminels xénophobes et 1.799 antisémites ont été recensés, commis à près de 90 % par des personnes issues de milieux d'extrême droite.

Même si les militants de ces partis sont de moins en moins nombreux - ils seraient environ 24.000 selon le BfV, l'équivalent des renseignements intérieurs en France, contre 65.000 au début des années 1990 -, ils sont en proportion plus violents, et donc dangereux. En effet, le BfV estime que les militants d'extrême droite violents sont environ 12.700, un nombre qui ne fait que doubler presque tous les dix ans. Ils n'étaient que 1.400 en 1990, 2.200 en 2000 et 5.600 en 2010. Ce qui fait dire à Nele Katharina Wissmann que «le terrorisme d’extrême droite est aujourd’hui considéré comme une menace majeure pour la démocratie allemande».

Cet essor du terrorisme d'extrême droite n'est sans doute pas étranger à la recomposition du climat politique et à la poussée du parti anti-migrants Alternative pour l'Allemagne (AfD), dont la branche la plus radicale est dans le collimateur des services de renseignement allemands. Fondée en 2013, la formation a connu une trajectoire météorique, jusqu'à devenir la troisième force politique au Bundestag, le Parlement allemand, en 2017, avec 93 députés.

Une banalisation des idées nationalistes

L'AfD est également désormais présente dans tous les parlements régionaux du pays, et un tabou a même été levé début février, avec l'élection du président du Land de Thuringe, Thomas Kemmerich, grâce à une alliance très controversée entre le parti de droite conservatrice d'Angela Merkel et l'AfD. De quoi provoquer un scandale politique outre-Rhin, cet épisode rappelant les heures les plus sombres de l'histoire du pays. En 1930, c'était déjà dans la région de Thuringe que des responsables nazis étaient pour la première fois entrés dans un gouvernement régional. Trois ans plus tard, le 30 janvier 1933, Adolf Hitler devenait chancelier. Face au tollé, le tout nouveau dirigeant de Thuringe a finalement démissionné, et de nouvelles élections devraient être prochainement organisées.

Cet événement montre en tout cas la place prépondérante prise par l'AfD dans le paysage politique germanique, qui a participé à banaliser les idées nationalistes et la parole raciste dans le pays. En 2017, le chef de file du parti en Thuringe, Björn Höcke, avait par exemple fait scandale en déclarant que le mémorial de la Shoah construit à Berlin était un «monument de la honte». L'année suivante, le patron de l'AfD, Alexander Gauland, était accusé par des historiens de renom d'avoir paraphrasé un discours d'Adolf Hitler. Il a depuis été remplacé par un nouveau dirigeant, Tino Chrupalla, 44 ans, une élection qui est selon les experts un signe de l'influence grandissante de l'aile la plus dure du parti, «Der Flügel», créée en 2015 par Björn Höcke, connu pour son discours provocateur.

Après les fusillades de mercredi soir, plusieurs responsables politiques allemands n'ont pas hésité à faire le lien entre  la violence xénophobe, de plus en plus prégnante dans le pays, et le climat délétère entretenu par l'AfD. A l’instar du social-démocrate Michael Roth, secrétaire d’Etat aux affaires européennes. «Le milieu à l’origine d’actes comme ceux de Hanau se nourrit idéologiquement de fascistes comme Björn Höcke. La haine de la démocratie, le racisme, l’antisémitisme, la haine contre les Tziganes et l’islamophobie prospèrent sur des terres fertiles. Pour cela, je maintiens ma position : l’AfD est le bras politique du terrorisme d’extrême droite», a-t-il accusé.

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