En direct
A suivre

Entre «devoir patriotique» et volonté de «battre Trump» : ces électeurs démocrates qui votent en France

En Caroline du Sud, la primaire démocrate a eu lieu le 29 février dernier, et a été remportée par Joe Biden. En Caroline du Sud, la primaire démocrate a eu lieu le 29 février dernier, et a été remportée par Joe Biden. [SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP]

Comme une petite bulle d'Amérique en plein Paris. En cette soirée du jeudi 5 mars, le restaurant Treize au Jardin, à deux pas du jardin du Luxembourg, s'est transformé en bureau de vote improvisé. Quelques grappes d'Américains s'y retrouvent, avec la même volonté de peser dans la primaire démocrate à la présidentielle 2020, actuellement en cours de l'autre côté de l'Atlantique.

Ici, on est loin de l'ambiance feutrée et solennelle des scrutins français. Point d'isoloir ou d'urne électorale, le vote se fait autour d'une table ronde en bois, dans un décor cosy, semblant être à l'écart du monde, tout en buvant un verre ou en grignotant des ailes de poulet grillées. A la bonne franquette, pourrait-on dire en français ! Plusieurs bénévoles de Democrats Abroad France, le bras du Parti démocrate à l'exérieur des Etats-Unis, sont là «pour aider les gens à réaliser le processus de vote», indique - en anglais - la présidente de l'organisation, Ada, lunettes noires sur le nez et foulard USA autour du coup.

Pour pouvoir voter pour cette primaire démocrate, il faut obligatoirement être membre de Democrats Abroad. Certains de ceux qui se présentent ce jeudi au Treize au Jardin ne le sont pas, et se font donc expliquer la marche à suivre par Tina, coordinatrice de l'événement, autocollant «I voted« sur la poitrine, qui accueille chaque électeur avec un enthouasisme non dissimulé : d'abord faire son inscription à l'organisme sur Internet, puis noter son numéro de membre sur son bulletin de vote, avant de pouvoir enfin remplir les cases de ce dernier. Dont la plus importante : celle de son candidat.

En ce surlendemain de «Super Tuesday», ils ne sont déjà plus que trois en lice pour l'investiture démocrate : Joe Biden, Bernie Sanders et Tulsi Gabbard, après l'abandon quelques heures auparavant d'Elizabeth Warren. Mais sur le bulletin figurent encore les noms de plusieurs candidats qui ont jeté l'éponge, tels que celui de la sénatrice du Massachusetts ou celui du milliardaire Michael Bloomberg. Après avoir coché le nom de Biden, Tina se penche vers une femme attablée en train de s'acquitter de son devoir citoyen. «Lui il est 'out', elle est 'out', lui aussi, lui est encore là, elle non...»

13 délégués en jeu

Une fois toutes les cases remplies (nom, date de naissance, adresse, Etat américain où l'électeur est inscrit, etc.), le bulletin doit être pris en photo et être envoyé par mail (ou fax) à Democrats Abroad, explique Ada. Interrogée sur les risques de fraude, l'Américaine d'origine chinoise, en France depuis seulement deux ans et demi après avoir épousé un Français, se veut rassurante. «Chaque bulletin que l’on reçoit est vérifié quatre fois, pour être bien sûr que les gens soient éligibles au vote», affirme-t-elle, ajoutant que c'est Democrats Abroad qui procède ensuite au décompte des voix, les résultats devant être annoncés le 23 mars prochain.

Pas de quoi sans doute faire basculer la course à la Maison Blanche, les démocrates de l'étranger n'ayant droit qu'à 13 délégués. Un maigre chiffre comparé aux 415 de la Californie ou aux 274 de l'Etat de New York (sur un total de 3.979 délégués en jeu lors de cette primaire), mais assez important si l'on regarde le nombre d'électeurs par délégu. Lors de la primaire de 2016, un délégué des démocrates de l'étranger représentait 2.659 votants, contre 12.466 pour un délégué de la Californie, précise Jonathon, vice-président de Democrats Abroad France.

Parmi les Américains qui ont poussé la porte du Treize au Jardin ce jeudi soir, une grande majorité de femmes, certaines étant venues avec leur conjoint français. C'est le cas de Jennifer, la cinquantaine, une Franco-américaine en France depuis quinze ans. «Je vote à toutes les élections américaines, c'est un devoir patriotique pour moi», estime-t-elle, dans un Français sans aucun accent, assurant être toujours liée aux Etats-Unis. «Je fais encore ma déclaration d'impôts là-bas, et je fête encore tous les ans Thanksgiving et Halloween !»

Venue avec une amie, avec qui elle vote «à toutes les élections», Katarina invoque elle aussi le «lien affectif» envers la patrie de l'Oncle Sam pour justifier son choix de participer à la vie politique américaine, alors même qu'elle vit en France depuis vingt ans. «Et puis les Etats-Unis sont la première puissance mondiale, la présidentielle américaine a donc un impact sur les autres pays», poursuit la trentenaire, cheveux blonds et lisses, sac à main sur les genoux. Un avis que partage Jim, professeur d'université à Paris, et par ailleurs membre du comité de soutien de Bernie Sanders en France, qui a lui préféré le vote par mail. «L'enjeu de ces élections n'est pas seulement américain mais mondial. Le président américain a un pouvoir inouï à l'échelle planétaire», déclare au téléphone celui qui habite en France depuis quarante-cinq ans.

«Battre Donald Trump»

Et alors que les candidats démocrates à la primaire répètent à longueur de temps le nom de leur adversaire ultime, Donald Trump, la perspective d'un second mandat du populiste milliardaire républicain semble jouer à plein dans l'engagement des électeurs pour cette primaire. «Je suis particulièrement décidé à participer cette année car on est vraiment en danger à cause de Donald Trump. C'est un protofasciste, quelqu'un qui présente un vrai danger pour la planète», lance Jim avec son accent américain encore perceptible malgré les décennies passées en France.

Tina, la coordinatrice du vote au Treize au Jardin, est sur la même longueur d'onde. «J'ai commencé à davantage m'engager dans Democrats Abroad quand je me suis rendue compte que voter n'était pas suffisant face au manque de politesse et au racisme de Donald Trump envers tous 'les autres'», se désole celle qui se présente comme une «femme juive, avec beaucoup d'amis noirs et gays», tout en prenant des selfies avec les électeurs venant de voter. Lorsqu'on lui demande quel est son travail, sa consœur chez Democrats Abroad, Ada, répond même, avec toute l'assurance du monde : «Battre Donald Trump». L'hyperactive présidente travaille en effet à temps plein pour son organisme, après avoir fondé la branche de Democrats Abroad en Chine en 2017, où elle habitait avant de venir s'installer dans l'Hexagone.

«Peut-être même plus qu'à temps plein actuellement», souligne-t-elle dans un sourire, après s'être félicitée d'une hausse de la participation des démocrates de l'étranger de 50 % par rapport à 2016. Son programme de la semaine est en effet plus que chargé, le vote s'étalant du mardi 3 au mardi 10 mars, avec quasiment tous les jours des événements comme celui du Treize au Jardin, succédant à des séances de vote plus cadrées, et ce aux quatre coins de la France (Paris, Toulouse, Strasbourg, Lille, Lyon, Marseille...).

Ensuite, le prochain temps fort pour Democrats Abroad sera la campagne pour l'élection présidentielle du 3 novembre prochain. Mais contrairement à la primaire, aucune séance de vote comme celui au Treize au Jardin ne sera organisé. En effet, il n'y a pas de scrutin hors territoire pour la présidentielle. S'ils veulent s'exprimer, les démocrates vivant à l'étranger devront soit se rendre aux Etats-Unis, soit remplir une sorte de procuration et l'envoyer outre-Atlantique. «Une majeure partie de notre travail consistera à inciter les Américains expatriés à voter et à les diriger vers le site VoteFromAbroad.org, qui accompagne les électeurs expatriés dans leur vote à distance, la plupart d’entre eux n’ayant pas la possibilité de traverser l'Atlantique pour voter», raconte Jonathon, numéro deux de Democrats Abroad. Ce qui promet donc pour l'organisation encore de longs mois de travail acharné.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités