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Tout savoir sur l’invention des soins intensifs

Comment le concept d'une unité de soins intensifs (USI) est-il né ? Comment le concept d'une unité de soins intensifs (USI) est-il né ? [THOMAS COEX / AFP]

En pleine pandémie de coronavirus, de nombreux patients sont transférés en soins intensifs. Quelle est l'origine de cette unité et en quoi consiste-t-elle ?

Tout a commencé durant l'épidémie de polio en août 1952, à l'hôpital Blegdam de Copenhague, comme le relate le docteur Hannah Wunsch, sur le site de la revue scientifique anglaise Nature. Cet événement peu connu a marqué le début de la médecine de soins intensifs et l'utilisation de la ventilation mécanique en dehors de la salle d'opération - les soins mêmes qui sont au cœur de la réduction de la crise du Covid-19.

Le nombre d'admissions à l'hôpital était alors supérieur à ce que le personnel avait jamais vu, et les patients ne cessaient d'affluer. Des dizaines, chaque jour, mouraient d'insuffisance respiratoire. Les médecins et les infirmières étaient impuissants, incapables d'aider sans équipement suffisant.

En 1952, le poumon d'acier - un appareil de ventilation à pression inférieure à la pression atmosphérique permettant à une personne de respirer en cas d'insuffisance de la ventilation pulmonaire -, était le principal moyen de traiter la paralysie qui empêchait certaines personnes atteintes de polio de respirer.

Copenhague a ainsi été l'épicentre d'une des pires épidémies de polio que le monde ait jamais connues. L'hôpital a admis 50 personnes infectées par jour, et chaque jour, 6 à 12 d'entre elles ont développé une insuffisance respiratoire. Toute la ville n'avait qu'un seul poumon d'acier. Au cours des premières semaines de l'épidémie, 87% des personnes atteintes de polio bulbaire ou bulbospinale, dans lesquelles le virus attaque le tronc cérébral ou les nerfs qui contrôlent la respiration, sont décédées. Environ la moitié étaient des enfants.

Un étudiant trouve une solution

Désespéré de trouver une solution pour gérer l’afflux de patients, le médecin-chef de l’hôpital convoqua une réunion à laquelle assista un jeune anesthésiste, nommé Bjørn Ibsen. Ce dernier, qui revenait tout juste d’un stage de formation au Massachusetts General Hospital de Boston, aux Etats-Unis, eut l’intuition que les patients concernés par l’épidémie ne mouraient pas d’une surproduction virale dans le sang ou le cerveau, comme cela était suggéré, mais en raison d’une augmentation du CO2 contenu dans le sang à la suite d’une hypoventilation.

Son intuition étant confirmée, il proposa alors l’idée de s’appuyer sur une approche inverse : celle de la ventilation en pression positive continue. Le jeune homme suggéra de souffler de l’air directement dans les poumons des patients pour les faire se dilater, puis de permettre au corps de se détendre passivement et d’expirer.

Il a proposé l'utilisation d'une trachéostomie : une incision dans le cou, à travers laquelle un tube pénètre dans la trachée et fournit de l'oxygène aux poumons, et une ventilation à pression positive. À l'époque, cela était souvent fait brièvement pendant la chirurgie, mais avait rarement été utilisé dans une salle d'hôpital.

Ibsen a été autorisé à essayer la technique le lendemain. On connaît même le nom de sa première patiente : Vivi Ebert, une fillette de 12 ans gravement atteinte de la polio paralytique. Ibsen a démontré que cela fonctionnait. La trachéostomie a protégé ses poumons de l'aspiration et, en serrant un sac attaché au tube, Ibsen l'a gardée en vie. Ebert a survécu jusqu'en 1971, lorsqu'elle est finalement décédée d'une infection dans le même hôpital, près de 20 ans plus tard.

Le plan a été élaboré pour utiliser cette technique sur tous les patients de Blegdam qui avaient besoin d'aide pour respirer. Seul problème : il n'y avait pas de ventilateurs.

Une ventilation manuelle durant des mois

Des étudiants en médecine et en médecine dentaire de l'Université de Copenhague se sont donc assis au chevet de chaque personne paralysée et les ont ventilées à la main. Ils ont ainsi serré un sac relié au tube de trachéostomie, forçant l'air dans les poumons. Cela a duré des semaines, puis des mois, avec des centaines d'étudiants se relayant toutes les six heures. À la mi-septembre, la mortalité des patients atteints de polio qui avaient une insuffisance respiratoire était tombée à 31%. On estime que ce plan héroïque a sauvé 120 personnes.

Jusque-là, on pensait que l'insuffisance rénale était à l'origine du décès dans les cas de polio. Ibsen a reconnu qu'une ventilation inadéquate provoquait une accumulation de dioxyde de carbone dans le sang, le rendant très acide - ce qui provoquait la fermeture des organes.

Trois autres leçons sont essentielles aujourd'hui. Tout d'abord, l'hôpital Blegdam a démontré ce qui peut être réalisé par une communauté médicale réunie, avec une concentration et une endurance remarquables. Deuxièmement, cela a prouvé qu'il était possible de maintenir les gens en vie pendant des semaines et des mois avec une ventilation à pression positive. Et troisièmement, il a montré qu'en réunissant tous les patients qui avaient du mal à respirer, il était plus facile de les soigner dans un seul endroit où les médecins et les infirmières avaient une expertise en insuffisance respiratoire et en ventilation mécanique.

L'unité de soins intensifs est née

C'est ainsi que le concept d'une unité de soins intensifs (USI) est né. Après la création de la  première à Copenhague l'année suivante, les unités de soins intensifs ont proliféré. Et l'utilisation de la pression positive, avec de vrais ventilateurs au lieu des étudiants, est devenue la norme.

Dans les premières années, de nombreuses caractéristiques de sécurité des ventilateurs modernes n'existaient pas. Dans les années 1950 et 1960, si l'appareil était accidentellement déconnecté et que l'infirmière avait le dos tourné, le patient mourait. 

Les premiers ventilateurs ont forcé les gens à respirer à un rythme défini, mais les modernes détectent quand un patient va respirer, puis aident à fournir une poussée d'air dans les poumons en même temps que le corps. L'appareil d'origine a également recueilli des informations limitées sur la rigidité ou la souplesse des poumons, et a donné à chacun une quantité fixe d'air à chaque respiration ; les machines modernes prennent de nombreuses mesures des poumons et permettent de choisir la quantité d'air à donner à chaque respiration. Tous ces éléments sont des améliorations des ventilateurs d'origine, qui étaient essentiellement des soufflets et des tubes automatiques.

Depuis la pandémie de Covid-19, le spectre des soins sans ventilateur a fait son apparition, même dans les pays les mieux approvisionnés, comme l'Allemagne et les Etats-Unis. Que tant de médecins n'aient pas d'autre choix que de regarder les patients mourir, rappelle les années 50 et les précédentes.

Des comparaisons sont en cours avec la pandémie de grippe de 1918, qui avait une mortalité qui pourrait se révéler similaire. Mais cette épidémie s'était produite sans ventilateur. Cette nouvelle maladie est-elle en fait plus mortelle ? C'est dans les zones qui ne disposent pas de lits de soins intensifs - ou pas assez - que nous apprendrons, malheureusement, le véritable cours naturel de ce nouveau virus, estime le docteur Hannah Wunsch.

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