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Ouïghours en Chine : Tout comprendre sur la situation

La Chine réprime les Ouïghours au nom de la lutte contre «le terrorisme et le séparatisme». La Chine réprime les Ouïghours au nom de la lutte contre «le terrorisme et le séparatisme».[GREG BAKER / AFP]

Sanctions américaines, proposition d'envoi d'une mission d'observation par la France, critiques britanniques... Après des années de répression, le monde semble (enfin) prendre conscience du traitement réservé aux Ouïghours en Chine, dont au moins un million seraient internés dans des camps de rééducation politique.

Qui sont les Ouïghours ?

Les Ouïghours sont l'une des 55 minorités ethniques officiellement reconnues par la Chine, dont les Hans sont l'ethnie majoritaire (92 % de la population). Turcophones et de religion musulmane, ils vivent pour la plupart dans la région du Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine. Alors qu'ils représentaient 75 % de la population de cette province en 1949 (contre 6 % pour les Hans), cette proportion est tombée à 45 % au début des années 2010 (sur 22 millions d'habitants), et celle des Hans a à l'inverse bondi à 40 %, sous l'effet de campagnes lancées par le pouvoir chinois pour inciter les Hans à venir s'installer dans la région.

Pourquoi sont-ils réprimés ?

«Les relations entre la population indigène ouïghoure et la majorité ethnique chinoise Han ont toujours été tendues depuis la conquête du Xinjiang au 18ème siècle par la dynastie Qing, les Ouïghours supportant mal l’imposition des règles et de la culture chinoises», explique Marc Julienne, chercheur au Centre Asie de l'Institut français des relations internationales (Ifri) et spécialiste de la Chine, dans un article publié en octobre 2019 dans l'Observatoire international du religieux.

Après plusieurs décennies marquées par un resserrement du contrôle et une volonté d'assimilation de la minorité ouïghoure, la répression a pris un tournant plus brutal peu après l'arrivée à la présidence chinoise de Xi Jinping en 2013. En 2013 et 2014, la Chine est secouée par une vague d'attentats, à Pékin, Kunming ou encore Urumqi, perpétrés par des militants nationalistes ouïghours, certains d'entre eux liés à la mouvance islamiste.

Ces événements choquent l'opinion publique chinoise et marquent le début d'une guerre contre le terrorisme et le séparatisme dans le Xinjiang - ciblée sur les Ouïghours mais également sur les autres minorités musulmanes -, devenue encore plus sévère après l'arrivée à la tête de la province de Chen Quanguo en 2016.

«Le Parti communiste chinois est une force politique qui est en train d'effectuer un virage nationaliste de plus en plus marqué. Le gouvernement tente d'homogénéiser culturellement sa population et d'imposer son modèle national aux Ouïghours», analyse Rémi Castets, directeur du département d'études chinoises à l'Université Bordeaux Montaigne, interrogé par CNEWS. «Le régime chinois est de plus en plus autoritaire et ne tolère plus l'expression d'idées divergentes. Il impose à ce titre un contrôle de plus en plus étroit de la population, réduisant peu à peu à néant les espaces de liberté notamment chez les minorités les plus rétives.»

Comment sont-ils persécutés ?

Selon une estimation de l'ONU datant de 2018, un million de Ouïghours seraient détenus arbitrairement dans des camps d'internement secrets dans le Xinjiang, construits en 2017. Ils pourraient même être jusqu'à 3 millions selon certaines ONG de défense des droits de l'homme. Appelés «centres de formation professionnelle» par Pékin, ces camps seraient en réalité des camps de rééducation politique, «avant tout des lieux de sanction et de torture, pas d'apprentissage», selon Patrick Poon, chercheur spécialiste de la Chine à Amnesty International.

Plusieurs témoignages, enquêtes et fuites de documents ont mis en lumière les exactions commises dans ces camps, ou plutôt ces prisons : séances de torture, viols, privations de nourriture, jusqu'à la stérilisation de force de femmes ouïghoures. Mais cette répression ne se limite pas à ces camps. Le gouvernement chinois a mis en place dans toute le Xinjiang un système de surveillance de masse, via les smartphones, la reconnaissance faciale et la collecte d'ADN.

L'objectif étant à terme une «transformation idéologique» et même une éradication de la culture ouïghoure, «considérée comme la source d’une volonté séparatiste par les dirigeants chinois» selon le sinologue Jean-Philippe Béja, directeur de recherche émérite au CNRS et au CERI Sciences Po, cité par France Culture.

Comment réagit la communauté internationale ?

Après des années de quasi-silence, marquées seulement par quelques appels internationaux sans effet, les pays occidentaux semblent depuis quelques semaines vouloir frapper plus fort dans la dénonciation des actes de la Chine. Le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian a proposé ce mardi l'envoi d'une «mission internationale (...) d'observateurs indépendants» dans le Xinjiang, «sous la houlette» de la Haut-commissaire de l'ONU aux droits de l'Homme Michelle Bachelet, réitérant une demande de l'Union européenne formulée fin juin.

Selon le politologue Rémi Castets, ce changement de ton des Européens vis-à-vis du traitement des Ouïghours s'explique par le récent revirement politique de l'UE sur la Chine. «Les Européens ont rompu avec leur naïveté initiale. On est passé d'une relation de partenariat marquée par le sceau de l'optimisme à une relation marquée aujourd'hui par le constat d'une divergence en terme de valeurs politiques et une certaine rivalité économique», commente-t-il. Des antagonismes qui s'expriment également sur le dossier hongkongais, Bruxelles ayant décrété récemment des sanctions contre la Chine après le vote d'une loi controversée sur la «sécurité nationale» à Hong Kong.

De leur côté, les Etats-Unis ont infligé deux séries de sanctions à Pékin ce mois-ci. D'abord à l'encontre de plusieurs dirigeants chinois, accusés d'être liés à «de graves atteintes» aux droits de l'Homme au Xinjiang. Les visas d'entrée aux Etats-Unis seront désormais refusés à trois responsables, dont Chen Quanguo, et à leurs familles. Puis Washington a placé onze entreprises chinoises sur une liste noire, limitant leur accès à des technologies et produits américains, en raison de leur participation à la persécution des Ouïghours. «Pour Donald Trump, les Ouïghours permettent d'appuyer là où ça fait mal et de mettre en difficulté le gouvernement chinois afin de mener à bien notamment sa stratégie de rééquilibrage économique», note Rémi Castets.

Qu'en dit la Chine ?

Face à ces accusations, la Chine nie en bloc, sans démentir l'existence de ces camps. Sauf que Pékin les présente comme des «centres de formation professionnelle», où les Ouïghours peuvent notamment apprendre le mandarin et s'éloigner de la tentation islamiste.

Aux critiques émises par Jean-Yves Le Drian, un porte-parole de la diplomatie chinoise, Wang Wenbin, a notamment répondu la semaine dernière que la politique de Pékin au Xinjiang «ne (visait) aucun groupe ethnique spécifique ni religion», assurant que la politique de son pays dans la région ne relevait pas des droits humains ni de la liberté de culte, mais de la lutte contre «le terrorisme et le séparatisme». Fin juin, un autre porte-parole de Pékin, Zhao Lijian, avait rejeté les allégations de stérilisations forcées de femmes ouïghoures, les présentant comme «sans fondement».

En guise de stratégie de défense, la Chine accuse les pays occidentaux d' «ingérence» dans ses affaires intérieures, se félicitant même de sa politique au Xinjiang. Le chef du Parti communiste dans le Xinjiang, Chen Quanguo s'est réjoui la semaine dernière de l'absence d'attentats dans la province depuis trois ans et sept mois, soit peu de temps après son arrivée.

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