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Johan Mooij : «Pour les enfants syriens, vivre dans la guerre est devenu normal»

L'éducation est l'un des dossiers prioritaires de Vision du Monde en Syrie L'éducation est l'un des dossiers prioritaires de Vision du Monde en Syrie. [Ibrahim YASOUF / AFP]

Plus de 380.000 morts, des millions de déplacés et un conflit qui ne semble jamais prendre fin... Depuis 10 ans, la Syrie est devenue l'un des principaux théâtres de guerre du Moyen-Orient. Et parmi les victimes, l'on retrouve forcément les enfants, qui ne peuvent pas grandir dans un environnement stable. Pour Johan Mooij, directeur de la réponse d’urgence pour Vision du Monde en Syrie, réussir à leur garantir une éducation est primordial, mais particulièrement complexe.

Depuis 10 ans, la Syrie est coincée dans cette guerre sans fin. Est-ce qu'il est possible de protéger psychologiquement les enfants de cela ? 

C'est probablement la question la plus difficile. La meilleure solution serait que la guerre prenne fin, ou du moins que les combats s'arrêtent. Il y a beaucoup d'endroits en Syrie où les affrontements continuent. Même dans les zones contrôlées par le gouvernement, comme dans le sud, il y a toujours des groupes armés, tout le monde semble avoir une arme. Beaucoup d'enfants sont déplacés avec leurs parents en Syrie, environ 4 ou 5 millions. Ce que l'on peut faire c'est leur fournir de l'eau potable, créer des espaces où ils sont protégés quand ils jouent ou, quand c'est possible, créer des écoles. Mais je suis un peu réticent à l'idée de dire que nous les protégeons de blessures psychosociales puisque, même si nous faisons ce que nous pouvons, la guerre est terrible. 

Votre ONG estime que 2 millions d'enfants sur place n'ont pas accès à l'éducation. Est-ce que la situation s'améliore ces derniers temps ? 

Tout change beaucoup. En mettant de côté la pandémie et la fermeture des écoles avec les mesures de restrictions, certaines zones sont sûres aujourd'hui, mais ne le seront peut-être pas demain. En termes de combat, on peut dire que les choses se sont un petit peu stabilisées, mais dans certaines régions elles empirent. Et, je déteste le dire, mais c'est aussi une question de financement. Dans les régions occupées, contrôlées par des groupes armés, ce sont les ONG et l'ONU qui fournissent l'éducation. S'il y a de l'argent nous pouvons le faire, quand ce n'est pas le cas nous ne pouvons pas. Nous avions un gros programme financé par l'UNICEF, mais l’UNICEF n’avait plus l’argent, c'est terminé. Nous pouvons toujours avoir de l'argent ici et là, des enseignants sont d'accord pour faire classe sans être payés... Il y a des choses qui donnent espoir, mais des millions d'enfants n'ont pas accès à l'éducation. 

Quelles sont vos principales priorités aujourd'hui ? 

Principalement, de donner de l'espoir quand c'est possible. Si les gens perdent espoir, ils vont s'asseoir et se laisser mourir. En dehors de cela, nous nous concentrons en premier lieu sur l'éducation, le bien-être et la protection des enfants. Si l'on ne veut pas d'une génération sacrifiée, nous devons faire de notre mieux sur ce plan. Enfin, de plus en plus, nous investissons pour donner des opportunités de vie. Nous devons mettre en place des choses pour préparer le retour à «la vie normale», même si l'on ne sait pas quand ce sera. Beaucoup d'entre nous ne sont pas très optimistes, mais quand les habitants pourront rentrer en Syrie, ils auront besoin de gagner leur vie à nouveau.

Est-ce que vous avez l'impression que les pays occidentaux font assez ? 

Non. Nous venons d'avoir un rapport sur la situation économique en Syrie. La guerre a provoqué tellement de dégâts qu'il faudra 1.200 milliards de dollars pour revenir à une situation égale à celle d'avant-guerre. Donc nous faisons ce que nous pouvons, mais ce n'est pas assez. Le gouvernement britannique a par exemple annoncé qu'ils allaient couper le budget pour la Syrie de 67%. Dans un sens je le comprends, puisque la Grande-Bretagne a des problèmes aussi. Mais si vous regardez les milliards investis pour le bien-être de leur propre population, c'est tellement en comparaison de ce que l'on a pour des pays comme la Syrie. Le coronavirus est un exemple parfait : il est sous contrôle quand le monde entier l'a sous contrôle. Comme la polio. Le monde irait également mieux si l'on se débarrassait de la pauvreté. Mais j’ai 64 ans, je fais ce genre de travail depuis de nombreuses années, et l’histoire n’a pas changé. Nous avons toujours besoin de plus d’argent. Alors nous nous concentrons sur ce que nous pouvons faire de mieux avec ce que nous avons. 

Récemment vous avez dit que des enfants de 5 ans peuvent faire la différence entre des bombes juste à leur son, mais ne savent pas écrire leur nom...

Les enfants nés juste après le début de la guerre ont maintenant 10 ans. Ils grandissent en perdant des amis, leurs parents, ils sont adoptés par d’autres familles… Certains ont dû s'enfuir 6-7 fois dans leur vie déjà. Ils vivent dans la guerre et pensent que c'est normal. Ils en savent plus à ce sujet que vous et moi n'en saurons jamais. Ce sont les vrais experts, car c'est ce qui les laisse en vie. Quand ils entendent un avion, ils savent si c'est un bombardier ou un avion civil. Connaître les menaces fait que vous pouvez vous en cacher. Pour eux, c’est une manière de survivre.

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