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Vers la reconnaissance du génocide des Ouïghours par la France ?

Manifestation au Royaume-Uni pour la reconnaissance du génocide par le parlement britannique. Manifestation au Royaume-Uni pour la reconnaissance du génocide par le parlement britannique. [JUSTIN TALLIS / AFP]

Internement, torture, agressions sexuelles… Les preuves de persécution contre la minorité ouïghoure en Chine s’accumulent. L’Institut ouïghour d’Europe a donc interpellé Emmanuel Macron ainsi que le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian pour que la France reconnaissance officiellement le génocide des Ouïghours.

Pour l’Institut, il est grand temps que la France désigne de manière claire les actes qui sont perpétrés par le gouvernement chinois à l’encontre de cette communauté musulmane de la région du Xinjiang. Pour Dilnur Reynhan, docteure en sociologie, présidente de l’Institut ouïghour d’Europe et elle-même membre de la communauté, il s’agit d’une démarche essentielle pour les victimes : «Ne pas utiliser les bons termes, parler d'ethnocide, de génocide culturel, ou crimes contre l'humanité, cela sous-estime la souffrance réelle des victimes. On a beaucoup utilisé le terme "génocide culturel", mais c'est un terme non-juridique. En reconnaissant le génocide, on détermine juridiquement les faits», explique-t-elle.

C’est pourquoi l’Institut ouïghour d’Europe a lancé une pétition en ligne pour que la France reconnaisse officiellement le génocide, qui a déjà récolté plus de 10.000 signatures en moins d'une semaine. Aussi, un collectif de «solidarité avec les Ouïghours», composé de 55 députés a été créé à l’Assemblée nationale en septembre dernier. Collectif sur lequel l’Institut ouïghour d’Europe compte pour faire reconnaitre le génocide.

Une procédure d’autant plus importante que plusieurs autres pays européens ont déjà entamé des démarches en ce sens. Le Parlement britannique vient justement d’approuver une motion déclarant le génocide des Ouïghours en Chine. Des débats sont également en cours au Parlement belge et en Italie. Enfin, quelques jours à peine avant le changement d’administration, l'ancien secrétaire d’État américain de Donald Trump, Mike Pompeo, avait utilisé le terme «génocide» pour qualifier ce qui se passe au Xinjiang.

Des sanctions internationales

Même si quelques pays ont déjà reconnu les crimes perpétrés par la Chine contre cette minorité turcophone, les sanctions à l’égard du gouvernement chinois sont encore rares. En mars dernier, l’Union européenne, le Royaume-Uni et le Canada ont sanctionné quatre dirigeants chinois pour violation des droits de l’Homme, leur interdisant l’entrée sur leur territoire et le gel de leurs avoirs dans l’UE. Des sanctions diplomatiques donc, qui restent largement insuffisantes, pour Dilnur Reyhan : «Bien entendu, c'est un premier pas, et c'est très bien. Mais ce n'est absolument pas à la hauteur. Il est urgent de stopper le génocide. Il faut des mesures importantes, non pas des sanctions à l'encontre de quelques dirigeants, mais bien à l'encontre du gouvernement chinois», prône-t-elle.

Elle estime que les pays occidentaux devraient prendre des sanctions économiques, comme annuler l’accord sur les investissements entre la Chine et l’UE et les autres accords commerciaux, et par exemple, cesser les jumelages entre les villes chinoises et européennes tant que le génocide est en cours. Des propositions très ambitieuses, alors que la Chine est l’un des plus gros partenaires commerciaux de l’Europe avec les États-Unis, mais la chercheuse a bon espoir : «La Chine a plus besoin de l'Europe que l'inverse, et l'Europe a toujours sous-estimé son pouvoir par rapport à la Chine.» Pourtant, selon les données officielles d'Eurostat, la Chine est devenue en 2020 le premier partenaire commercial de l'UE, doublant pour la première fois les États-Unis. L'année dernière, le commerce entre le pays d'Asie et l'UE a totalisé 586 milliards de dollars (importantions et exportations).

Une déclaration d'indépendance ?

Des documents provenant de l’administration chinoise, et de nombreux témoignages recueillis par des chercheurs ou par la presse internationale font état de «camps de rééducation» où la population ouïghoure serait enfermée. Selon des études américaines et australiennes, au moins 1 million de Ouïghours ont été internés, soumis à du travail forcé, et même à de la stérilisation forcée. Selon les données de l’Institut ouïghour d’Europe, au moins 800.000 enfants ont été arrachés à leurs familles, un chiffre qui serait largement sous-évalué.

Des pratiques injustifiables qui reposent sur des différences ethniques, religieuses et culturelles entre les peuples ouïghour et chinois. Auparavant, la région ouïghoure était un état indépendant et communiste, la République du Turkestan oriental, qui a été annexé par la Chine en 1949. Le Xinjiang est aussi une région stratégique et pleine de ressources naturelles utiles à la fois pour l’industrie militaire et pour le commerce mondial. «Le fond du problème, c’est le colonialisme», explique la docteure en sociologie.

À la question d’une éventuelle déclaration d’indépendance, si la répression chinoise prend fin, Dilnur Reyhan fait un constat sans appel : «J'ai travaillé sur cette question-là pour ma thèse. En 2016, dans mon étude sur la diaspora, 92% de la population ouïghoure choisissait l'indépendance. Parmi les 8% restant, certains choisissaient un État chinois fédéral, qui reconnaitrait les différentes provinces et leur donnerait du pouvoir, un système similaire aux États-Unis. Aucun n'avait choisi l'option de rester en Chine comme si de rien n'était.» L’unique volonté de l’écrasante majorité des Ouïghours : vivre dans un État démocratique, où les différences ethniques et religieuses sont tolérées.

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