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Jean-Eric Branaa : «Joe Biden n'est plus perçu comme le père protecteur de la nation»

Contraint de composer avec l'aile gauche de son parti, Joe Biden voit nombre de ses projets bloqués au Sénat. [Jim WATSON / AFP]

Après 100 premiers jours menés tambour battant, Joe Biden est aujourd'hui confronté à de nombreux obstacles. Jean-Eric Branaa, maître de conférence à Paris 2 Panthéon Assas et spécialiste de la politique américaine, revient pour CNEWS.fr sur la première année au pouvoir de Joe Biden, entre espoirs et frustrations.

Après quatre ans de tensions exacerbées sous la présidence Donald Trump, Joe Biden a hérité de la mission particulièrement difficile de réconcilier le pays. Où en est-on un an après ? La société américaine est-elle toujours autant fracturée ?

Donald Trump n'est pas responsable des fractures profondes de l'Amérique mais il a soufflé sur les braises pendant quatre ans. Ses supporters sont devenus ses fans, et ses adversaires, ses ennemis. Quoiqu’on en dise, c'est une stratégie qui a suscité chez les Américains un intérêt fort pour la politique. L'élection de novembre 2020 a donné lieu à une participation historiquement haute avec 158 millions de votants. Mais la tension est devenue tellement forte qu'on en est venu à des scènes de violences, dont l'assaut du Capitole a été l'apogée.

Aujourd’hui, je dirais que la fièvre est retombée mais que la maladie est toujours là. On voit dans les sondages que les Américains ont une volonté d’apaisement, y compris ceux qui avaient voté pour Donald Trump. Mais pour l'heure, les plaies sont encore à vif.

Quelles sont les principaux succès de Joe Biden jusqu'à présent ?

Outre le gigantesque plan de relance de 1.900 milliards de dollars, sa plus grande réalisation est sans doute le plan sur les infrastructures. Ce n'est pas une petite loi. Il faut bien comprendre que les infrastructures américaines sont dans un état désastreux. Les routes sont criblées de nids de poule, les ponts menacent de s'effondrer, la couverture internet est totalement inégale, des gens s’empoisonnent à cause des canalisations en plomb... C’est un chantier énorme sur lequel les présidents précédents se sont cassé les dents.

D'autres grands projets sont à l’inverse restés lettre morte, comme le plan socio-environnemental «Build Back Better» et deux autres grandes réformes électorales qui restent bloquées au Sénat…

«Build Back Better», qui prévoit notamment l'école maternelle gratuite pour tous ou encore l'amélioration de la couverture maladie, est un plan poussé par l'aile gauche du parti démocrate. Le texte reste bloqué au Sénat où les démocrates centristes et progressistes s’opposent sur les modalités et la hauteur du financement du plan. Le sénateur Joe Manchin est souvent désigné comme le responsable du blocage mais le problème est beaucoup plus profond et très révélateur de la division idéologique du parti démocrate. D'un bord, on pense économie et emploi, de l'autre on pense social et sociétal.

«Joe Biden donne l’impression d’un président qui n’arrive pas à mobiliser ses troupes»

Le Sénat est-il le principal obstacle de Joe Biden ?

Oui. Joe Biden est mis en difficulté par les républicains qui utilisent le «filibuster», une technique d'obstruction parlementaire qui revient à imposer une super-majorité de 60 voix sur 100 au lieu de 51 pour adopter un texte de loi. Biden est tenté de supprimer cette règle mais les démocrates centristes n'y sont pas favorables. Ils craignent que cela ne profite aux républicains le jour où ils auront la majorité. Là encore, on observe une vraie différence idéologique entre des démocrates qui veulent conserver une tradition de compromis parlementaire et des démocrates plus radicaux qui voudraient passer en force.

Joe Biden risque donc de faire des déçus ?

Joe Biden est un politicien «à l'ancienne» qui recherchera toujours le compromis et la discussion. Mais cela n'est pas du goût de tous. Pendant la primaire démocrate, Kamala Harris lui avait reproché d'avoir travaillé avec des élus ségrégationnistes dans les années 70. Cette polémique montrait que pour beaucoup d’Américains, l'enjeu de l’élection n'était pas simplement de chasser Donald Trump du pouvoir. C'était aussi de faire repartir le balancier politique de la droite vers la gauche.

En effet, les démocrates se sont rangés derrière le message d'union de Joe Biden mais beaucoup avaient en tête le programme de Bernie Sanders. Souvenons-nous que pendant la primaire, Alexandria Ocasio-Cortez avait dit à propos de Joe Biden : «si on était dans un autre pays, on ne serait pas dans le même parti ».

Résultat, Joe Biden donne l’impression d’un président qui n’arrive pas à mobiliser ses troupes et qui est dans l’incapacité de faire passer ses réformes à cause du Sénat. Il y avait une impatience, il y a aujourd'hui de l'insatisfaction et, si ça ne bouge pas, gare au rejet.

«Pour beaucoup d'Américains, le gouvernement n'a pas à régenter leur vie de tous les jours»

Quel est le bilan sanitaire de Joe Biden ?

Joe Biden a promis de débarrasser le pays du Covid-19 mais il n'a pas anticipé que la campagne de vaccination s'arrêterait aussi brutalement. Son objectif de fêter l’«indépendance» de l’Amérique face au Covid-19 le jour de la Fête nationale n'a pas été atteint. Bien qu'il ait mobilisé tous les moyens à sa disposition (vaccins, tests, masques...) dès le début de sa présidence, Joe Biden n’apparaît plus aujourd’hui comme le père protecteur de la nation.

Le vaccin est devenu un objet politique très fort. Les républicains s’opposent à Biden en rejetant le vaccin et toute mesure sanitaire qui vient de l'Etat fédéral. On en revient à une vieille opposition entre le pouvoir fédéral et le pouvoir des Etats. Pour beaucoup d'Américains, le gouvernement n'a pas à régenter leur vie de tous les jours car la Constitution ne lui en donne pas le pouvoir.

La cote de popularité de Joe Biden oscille entre 40 et 42% d’approbation selon les instituts de sondages dans l'opinion, contre 57% en début de mandat. A quelle moment a-t-elle déraillé ?

Sa cote de popularité s'est écroulée début juin, au moment où il échouait à faire voter ses réformes électorales et où les divisions de son parti sur «Build Back Better» éclataient. La débâcle d'Afghanistan n'a fait qu'aggraver les choses.

Sur quels sujets vont se jouer les Midterms, les élections de mi-mandat qui ont lieu en novembre prochain ?

Outre l’évolution sanitaire, la situation économique sera déterminante. Le chômage a certes baissé prodigieusement jusqu’à atteindre 3,9% au bout d'un an, ce que personne n'aurait parié. Mais l'inflation a explosé et atteint 7% en 2021, du jamais vu depuis 1982. Les Américains les plus modestes vont voir leur épargne fondre et leur pouvoir d'achat baisser. Joe Biden doit donc trouver une solution très rapidement.

Pour l'instant, c'est mal parti pour les démocrates qui donnent l’image d’un parti davantage concerné par ses affaires internes que par les problèmes des Américains. Les choses pourraient s'améliorer si Biden parvient à faire passer ses lois et si le paysage économique s'éclaircit.

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