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«En affirmant pouvoir fabriquer la bombe atomique, l'Iran envoie un message aux Etats-Unis », estime le chercheur Thierry Coville

Le président iranien ultra-conservateur Ebrahim Raïssi, élu en juillet 2021, continue à développer le programme nucléaire de son pays. [ATTA KENARE / AFP]

Le régime iranien a fait savoir ce dimanche qu'il avait les «capacités techniques» de fabriquer une bombe nucléaire. Une déclaration qui a vocation à faire pression sur les Etats-Unis, explique à CNEWS Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran.

Kamal Kharrazi, président iranien du Conseil stratégique des relations internationales et conseiller du Guide suprême Ali Khamenei, a affirmé ce dimanche que l’Iran «a les capacités techniques de fabriquer une bombe nucléaire». Est-ce crédible ?

Thierry Coville : En juin 2019, soit un an après que Donald Trump a retiré les Etats-Unis de l'Accord de Vienne en réimposant des sanctions, l'Iran a recommencé à enrichir de l'uranium en dépassant les 3,7% prévus dans l'accord. Téhéran affirme aujourd'hui avoir enrichi de l'uranium jusqu'à 60% et avoir la capacité de produire de l'uranium enrichi à 90%, soit la quantité nécessaire à la fabrication de l'arme atomique.

Les Iraniens progressent vite dans la maîtrise de la technologie nucléaire et on peut raisonnablement penser qu'ils pourraient être capable de se doter de l'arme atomique.

En ont-ils la volonté ?

Les Iraniens continuent de dire qu'ils n'en ont pas la volonté politique, en invoquant la fatwa anti-nucléaire émise par le Guide suprême Ali Khameini. Ceci dit, c'est la première fois que le régime explique aussi clairement qu'il a la capacité technique de la faire.

Cette déclaration intervient au lendemain de la tournée de Joe Biden au Moyen-Orient. Comment l'interpréter ?

C'est un message envoyé aux Etats-Unis dans le cadre des négociations qui ont lieu depuis des mois pour que les Américains reviennent dans l'Accord de 2015. Depuis l'élection du président ultra-conservateur Ebrahim Raïssi en juillet 2021, l'Iran pense que la meilleure stratégie à adopter est de faire peur aux Américains en disant : «tant qu'il n'y a pas d'accord, on continuera à développer notre programme nucléaire».

Les négociations sont au point mort depuis mars. Qu'est-ce qui bloque ?

Les points de blocage concernent notamment le refus américain de sortir les pasdaran, le corps des Gardiens de la révolution islamique (dépendant directement du Guide), de la liste des organisations terroristes. Lors de sa visite en Israël, Joe Biden s'est engagé à les maintenir sur la liste coûte que coûte, même si cela conduirait à la disparition de l'accord nucléaire avec Téhéran.

Pourquoi est-il aussi catégorique ?

Le président américain joue un double jeu. D'un côté il dit qu'il fait tout pour que l'Iran n'obtienne pas l'arme nucléaire et de l'autre il tient des propos très fermes.

En réalité, il y a derrière sa déclaration une question de politique intérieure. Il y a une grosse pression au Congrès de la part des Républicains et de certains démocrates pour adopter une ligne dure face à l'Iran. A quelques mois des élections, Biden ne veut pas prendre de risques.

A la télévision israélienne, Joe Biden a déclaré qu'il utiliserait la force contre l'Iran en «dernier recours» pour l'empêcher d'obtenir des armes nucléaires. Un conflit ouvert peut-il éclater ?

C'est l'option qu'Israël, ennemi historique de l'Iran, envisage de plus en plus. Depuis plusieurs mois, le gouvernement israélien essaye de convaincre les Etats-Unis de laisser tomber la diplomatie pour réfléchir à une solution militaire. Bien-sûr les Américains n'y sont pas favorables, surtout en ce moment avec la guerre en Ukraine. Ils continuent donc de négocier mais on ne voit pas bien où cela peut mener.

Si jamais l'Iran obtient l'arme nucléaire, qu'est-ce que cela changerait dans la région et dans le monde ?

Tout d'abord, cela poserait un problème vis-à-vis du droit international car l'Iran est signataire du traité de non-prolifération des armes nucléaires signé en 1968. En sortir serait un signal clair que le pays se dirige vers la bombe atomique.

Ensuite, ce serait une catastrophe pour la prolifération nucléaire au Moyen-Orient. Cela donnerait des envies à la Turquie, à l'Arabie Saoudite... et laisserait craindre le pire.

Il faut bien préciser que nous n'y sommes pas encore. Si l'Iran veut vraiment l'arme atomique, le pays doit encore passer plusieurs étapes (production d'ogives, essais nucléaires...) qui sont très surveillées par les instances internationales.

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