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"Taxe Tobin": la France entre symbole et "Realpolitik" boursière

Le ministre de l'Economie Pierre Moscovici, à l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2013 [Patrick Kovarik / AFP] Le ministre de l'Economie Pierre Moscovici, à l'Assemblée nationale, le 22 octobre 2013 [Patrick Kovarik / AFP]

Devant les députés comme à l'échelle européenne, le gouvernement français joue les équilibristes avec la taxe sur les transactions financières, à forte charge politique mais potentiellement périlleuse pour les intérêts boursiers nationaux.

Le ministère de l'Economie et des Finances vient de peser de tout son poids pour enterrer un amendement des députés au budget 2014, qui aurait durci la "TTF" ou taxe sur les transactions financières.

La déclinaison française de la "taxe Tobin," du nom de l'économiste américain qui le premier imagina de taxer la spéculation internationale, mise à l'agenda à la fin de la présidence de Nicolas Sarkozy, a une charge symbolique très forte.

L'initiative du rapporteur socialiste du budget Christian Eckert visait à appliquer ce prélèvement de 0,2% chaque fois qu'un titre change de mains (intra-day), et non plus une seule fois, en fin de journée.

Le but: gonfler les trop maigres recettes de la taxe (600 millions d'euros en 2013 contre 1,6 milliard espérés au départ) et décourager le "trading à haute fréquence", qui revient à multiplier les transactions (et les micro plus-values) sur un titre.

Mais l'initiative des députés a été vivement critiquée par les grands acteurs financiers français, dont les arguments ont fait mouche à Bercy.

Les mouvements "intra-day" représentent "40% des transactions sur les titres des entreprises françaises. La liquidité de la place financière sera amputée (...), l'accès aux capitaux plus onéreux" si l'amendement est adopté, a fait valoir le ministre délégué au Budget Bernard Cazeneuve.

Le député PS et rapporteur du du budget Christian Eckert, à l'Assemblée nationale, le 2 juillet 2013 [Jacques Demarthon / AFP/Archives]
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Le député PS et rapporteur du du budget Christian Eckert, à l'Assemblée nationale, le 2 juillet 2013

L'argument est balayé par Alexandre Naulot, spécialiste du sujet de l'ONG Oxfam, pour qui l'indice vedette, le CAC 40, est "en situation de surliquidité", c'est-à-dire que "le nombre de transactions réalisées par les teneurs de marché est disproportionné". "On est clairement dans le domaine de la spéculation, pas dans celui de l'investissement, et encore moins du financement de l'économie réelle et des PME", s'indigne-t-il.

Reste que l'abondance des transactions, spéculatives ou non, est décisive pour l'attractivité d'une place boursière, alors même que la France cherche justement à préserver la sienne.

En arrière-plan de ce débat sur la TTF se jouent de grandes manoeuvres : la fusion entre l'opérateur boursier américain ICE et le groupe transatlantique NYSE Euronext, gestionnaire entre autres de la Bourse de New York et de celle de Paris.

Le ministre du Budget Bernard Cazeneuve, à l'Assemblée nationale, le 9 octobre 2013 [Fred Dufour / AFP/Archives]
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Le ministre du Budget Bernard Cazeneuve, à l'Assemblée nationale, le 9 octobre 2013

A la suite de ce mariage, dans une véritable mise en abyme, les activités européennes d'Euronext, à savoir la gestion des marchés d'Amsterdam, Bruxelles, Paris et Lisbonne, vont être introduites en Bourse. Et beaucoup à Paris souhaiteraient que de grandes banques européennes, notoirement hostiles à toute taxation des transactions, verrouillent alors une partie du capital pour préserver une part de contrôle.

Pour Pierre Moscovici, ministre de l'Economie, il s'agit de défendre des "intérêts de souveraineté". C'est fait à l'échelle nationale, reste la dimension européenne.

Onze pays emmenés à l'origine par la France et l'Allemagne sont volontaires pour taxer les transactions. La Commission européenne leur a présenté en février un projet de taxe très large, pouvant rapporter jusqu'à 35 milliards d'euros par an.

Pour Paris, même si M. Moscovici n'a de cesse de réclamer une taxe "ambitieuse", Bruxelles va trop loin. Et à Bercy, les plus sceptiques qualifient la TTF de "fausse bonne idée" et plaident pour une taxe "symbolique".

Arnaud de Bresson, délégué général de Paris Europlace, association qui défend les intérêts de la place parisienne, fustige quant à lui un projet européen "dangereux dans sa conception", pouvant coûter 30.000 emplois rien qu'en France.

Pour lui "le problème est en outre que cette taxe concernerait un nombre limité de pays en Europe et exclut la Grande-Bretagne et les Pays-Bas".

La France n'est pas isolée dans sa réticence. Selon la presse, si Paris manoeuvre pour exclure du champ de la taxe la plupart des produits dérivés, spécialités des banques françaises, l'Italie ferait elle pression pour en dispenser les obligations d'Etat.

En Allemagne les sociaux-démocrates, qui négocient un contrat de coalition avec Angela Merkel, réclament certes la création d'une TTF européenne, mais n'ont pas donné de précisions sur ses contours.

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