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Rocard ou la gauche moderne, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani. [Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

Michel Rocard était un indécrottable optimiste : la dernière fois que nous nous sommes vus, il m’a annoncé avoir «un mauvais truc», dont il pensait triompher, la médecine ayant sa confiance. Il était aussi un éternel étudiant, toujours passionné, toujours curieux. Intarissable, mêlant digressions planétaires et propos plus ordinaires qui, avec lui, prenaient un tour savant. Il n’aimait rien tant que de rappeler que, jeune éclaireur protestant, son totem était «hamster érudit». Michel Rocard, qui a toute sa vie incarné la possibilité d’une gauche moderne, était trois personnes en une : un penseur et militant socialiste obstiné, un leaderpolitique moins habile qu’il ne le pensait et unhomme d’Etat.

Il était l’un des derniers représentants d’une génération socialiste qui voulait s’inscrire dans l’histoire du mouvement ouvrier. L’effort théorique a toujours été présent chez lui : à l’époque où, haut fonctionnaire, il militait au PSU ou, plus tard, à l’intérieur du nouveau Parti socialiste né à Epinay en 1971, au sein duquel il incarna la «deuxième gauche». A la différence de la première gauche, Michel Rocard reconnaissait l’apport de la social-démocratie allemande et celui d’un «new labour», lorsque d’autres leur refusaient leur appartenance à la gauche car non conformes au modèle français. Mais jamais ces désaccords idéologiques ne conduisirent à la rupture. Michel Rocard témoignait de quelque chose qui a presque complètement disparu, en tout cas au PS, l’esprit de parti.

Son discours théorique servait aussi à des fins tactiques : évincer François Mitterrand de la candidature à l’élection présidentielle de 1981, après les échecs de 1965 et 1974. Sur ce chapitre, Michel Rocard fit pâle figure, en regard de l’art politique de François Mitterrand. Et il eut à subir les foudres de la garde mitterrandiste, dénonçant sa «dérive droitière», voire comparant son programme économique à celui de Pierre Laval ! En tout cas, vint le moment où François Mitterrand eut besoin de Michel Rocard. Il y avait, dans la promesse implicite du candidat Mitterrand de 1988, celui de la «France unie», l’idée d’un Michel Rocard à Matignon. Le message fut passé avant le vote par une invraisemblable photo des deux hommes : au cours d’une promenade, on voit un François Mitterrand «normal» toisant un Michel Rocard que ses pantalons de golf faisaient ressembler à Tintin…

Aussitôt après l’avoir nommé Premier ministre, François Mitterrand expliqua à ses visiteurs qu’il s’agissait en fait de griller Michel Rocard à Matignon afin qu’il ne puisse pas lui succéder à l’Elysée. En 1991, une fois passée la guerre du Golfe, Michel Rocard, toujours populaire – faute impardonnable… – fut remercié sans autre forme de procès.

Il n’empêche. En le nommant Premier ministre, c’est bien François Mitterrand qui permit à Michel Rocard de devenir, au cours de ses trois ans de bail, un homme d’Etat. C’est ainsi qu’il sut éviter la guerre civile en Nouvelle-Calédonie et jeter les bases d’un compromis qui dure encore. Il amorça la réforme de l’Etat, celle de l’organisation territoriale, mena une politique économique dont les résultats furent moins de chômage et plus de croissance. Et surtout, il gouverna à coups de 49.3 tout en s’efforçant de rechercher des majorités d’idées.

Mais Michel Rocard restera surtout un grand serviteur de l’Etat. A ses débuts dans la fonction publique, il fit partie de l’équipe qui inventa la TVA. Premier ministre, il fut celui qui inventa la CSG qui, dans son esprit, avait vocation à se substituer à l’impôt sur le revenu.

Ainsi était-il, toujours militant, mais toujours apte à rechercher l’intérêt général. Il manquera à la France. Il manquera à la gauche.

Jean-Marie Colombani

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