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La semaine de Philippe Labro : la complicité d’une voix, la voie de la générosité

Figure de France Inter, Pierre Bouteiller avait l'ironie mordante, l'humour ravageur et était un passionné de musique. [JEAN-PIERRE MULLER / AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MARDI 14 MARS

Adieu à Pierre Bouteiller. Adieu, l’ami. Il est 15h quand, à l’église Saint-Pierre-du-Gros-Caillou, rue Saint-Dominique, à Paris, une messe est dite à la mémoire de l’homme que des millions d’auditeurs de France Inter ont suivi et aimé au fil d’une trentaine d’années, cette «grande voix de radio», terme utilisé par la presse à l’annonce de sa disparition.

Ses fils, puis son copain d’enfance, et enfin Olivier Barrot (dans un beau discours) vont rappeler les qualités de celui qui aura été l’un de mes meilleurs amis. Nous nous sommes connus, gamins, quand nous étions finalistes de la «Coupe des reporters», une émission d’Europe n° 1 (c’est ainsi qu’on appelait cette radio encore toute nouvelle), en 1958. Le prix pour les gagnants ? Un stage au sein de la rédaction qu’animaient des personnages à l’époque célèbres et influents : Maurice Siegel, Jean Gorini… Des noms aujourd’hui inconnus, vestiges d’un monde englouti.

Pierre Bouteiller possédait quelques dons irremplaçables : la voix qu’il savait faire ironique ou complice ; le goût pour toutes formes d’expression – cinéma, théâtre, littérature et, surtout, la musique. C’était un cinglé de jazz et un fanatique de classique. Virtuose du piano, il nous a tous fait chanter, réunis autour de lui, quand, assis face au clavier, il se penchait pour jouer du Trenet, du Sinatra, du Ferré. Il avait cette faculté de nous entraîner dans son rythme, une prédilection pour la fête, l’amitié, l’humour. Je n’ai jamais passé un coup de fil à Pierre sans rire à ses saillies, anecdotes et calembours.

Persifleur, disaient ses critiques. Non, mais un journaliste libre, au ton mordant, à la langue légère et choisie. Je crois que, d’une certaine manière, c’est Pierre qui a, avec quelques autres, bien sûr, contribué à créer «l’esprit France Inter», cette «couleur sonore» grâce à laquelle on distingue une radio d’une autre.

C’était un après-midi de deuil, et à la fin de la journée, au Quai d’Orsay, on célébrait la victoire d’un deuil. Je m’explique : le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, remettait les insignes d’officier de la Légion d’honneur à une femme d’exception, Albina du Boisrouvray, créatrice et responsable de la Fondation FXB, qui, depuis trente ans, dans le monde entier, vient en aide aux «enfants du sida», en Afrique, en Inde… Cette ONG est reconnue partout, car Albina n’a cessé de parcourir la planète pour obtenir les soutiens nécessaires à sa belle et généreuse entreprise. FXB sont les initiales du fils d’Albina, un archange, disparu dans le crash de son hélicoptère, ce qui plongea sa mère dans un gouffre de malheur et de douleur.

Ici intervient ce que j’appelle la «victoire d’un deuil». Riche héritière d’une famille bolivienne, Albina, devenue productrice de films (dix-sept ans de cinéma entre 1969 et 1986) arrête tout, vend une majeure partie de ses biens, pour se consacrer au sauvetage, à la vie des autres. La mort de son fils l’a fait changer d’existence pour se dévouer à la cause des enfants et des familles dans la misère. Elle créera des villages, appliquera des méthodes intelligentes d’économie autonome et deviendra l’une des plus grandes références du monde associatif et humanitaire. En l’écoutant sous les lustres du Quai, face à des gens tous acquis à sa cause (Bernard Kouchner en tête, au côté duquel elle apprit avec Médecins sans Frontières), j’ai pensé que, au fond, le titre de l’un de ses meilleurs films résumait bien sa vie et son action : L’important, c’est d’aimer. 

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