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Thaïlande : des gangs à l'école

Sous le soleil écrasant d'un camp d'entraînement militaire du centre de la Thaïlande, des étudiants font des pompes en cadence. Formation des jeunes recrues? Non, encadrement musclé pour jeunes voyous.

Une rivalité entre gangs d'élèves de lycées professionnels a fait plusieurs morts à Bangkok, début mai, réveillant les inquiétudes d'un royaume en panne de solutions face à un phénomène qui s'inscrit dans une tradition de plusieurs décennies.

Les 150 jeunes hommes pris en charge par les militaires viennent tous d'établissements de la capitale, connus pour abriter des gangs violents. Ils défendent la fierté de leur diplôme dans une société très hiérarchisée qui valorise peu ceux qui apprennent un métier manuel dans les lycées professionnels.

"J'ai poignardé un étudiant à la tête", raconte "Pond", un adolescent boutonneux qui a échappé à l'inculpation pour l'agression et n'a payé qu'une vague amende pour port d'arme blanche. "Parfois, ça me met mal à l'aise, mais c'est ce qui est arrivé. On le fait parce que c'est une légende, transmise par les anciens de l'école. On le fait par fierté".

La bouffée de violence revient à chaque rentrée scolaire. Les Thaïlandais craignent alors l'apparition des bandes, redoutant qu'une dispute éclate sur la place publique et ne la transforme en quelques secondes en coupe-gorge.

En juin, un passant est mort dans un bus d'une balle perdue dans un échange de tirs entre jeunes qui a emporté aussi un des protagonistes. Des armes à feu, machettes et même des grenades artisanales ont été saisies par la police lors d'une récente perquisition. Mais trois autres jeunes sont morts depuis.

La police a répertorié plus de 1.000 dossiers de bagarres entre janvier et juillet dans la seule capitale. D'où ces camps militaires, où les ennemis jurés sont envoyés par les établissements avec l'accord des parents, pour y vivre sous le même toit, encadrés par des officiers qui ne plaisantent pas.

Pond, survêtement bleu et tennis, a été exclu de son collège pour son comportement violent. Il admet que les réveils à 5h du matin, les repas à heure fixe et l'exercice physique ont introduit de la discipline dans le chaos de son existence.

Mais il est clair sur la suite. "Pour le moment, je n'ai plus envie de me battre (...) mais en sortant, je devrai me protéger".

Pour Zoom, un ado décharné de 18 ans au visage creusé, se battre pour défendre la réputation de son école donne un sentiment de puissance, d'appartenance au groupe et suscite le respect des plus jeunes.

Il explique qu'une insulte sur l'école de l'un ou de l'autre suffit à provoquer des bagarres.

Et se souvient de l'une d'entre elles, qui a commencé l'an passé lorsque des jeunes l'ont insulté depuis une moto. Saisissant son couteau, il en a "tailladé un à la tête", dit-il avec une énergie trahissant l'absence totale de regret.

Désormais, lui et ses congénères dont beaucoup portent des cicatrices sont privés de cigarettes et doivent manger équilibré. Au moins semblent-ils disposés à transpirer en silence, et à faire équipe avec leurs ennemis d'hier pour les descentes en rappel ou les corvées de cuisine.

Leurs instructeurs ont dix semaines pour multiplier exercices et groupes de discussions pour créer un esprit de camaraderie qui durera après la fin du camp en septembre.

Les incurables, 10% selon le lieutenant colonel Wanchana Sawasdeem, un porte-parole de l'armée, n'auront rien appris. "Ils n'acceptent pas du tout le système", explique-t-il. "Ca marchera pour les 90% restant même si ça signifie seulement qu'ils hésitent avant de se battre (...). Au moins, le camp leur aura fait réfléchir".

Et pendant que les lycées communiquent à la chaîne sur les belles histoires de réussite, une mythologie de l'ultra-violence continue d'être propagée par quelques anciens élèves.

"Gagner des combats, c'est leur façon de vivre", constate Montree Sintawichai, ancien sénateur, spécialiste de la jeunesse et qui travaille désormais à la Fondation de protection des enfants. "Les élèves pensent que leurs victimes sont faibles (...). Ils n'ont ni respect ni pardon".

Le colonel Wijak Kesuda, instructeur en chef du camp, estime réussir sans trop de difficulté à introduire un peu de discipline. "Le plus dur est de les faire se respecter eux-même, respecter les autres et la société".

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