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Les œuvres NFT vous appartiennent-elles vraiment ?

L’œuvre «Everydays : the First 5 000 Days» réalisée par l’artiste Beeple avait été vendue 69 millions de dollars chez Christie's en mars.[© Beeple]

Nouveau phénomène dans le marché de l'art, les œuvres vendues au format NFT soulèvent des questions, notamment d'un point de vue juridique. Alors que le droit sur la question est encore flou, CNEWS a demandé des précisions à un avocat spécialisé.

Aucune règle en France, ni même sur le territoire de l'Union Européenne n'a encore réellement posé de cadre juridique autour des Non Fungible Tokens (Jetons non-fongible) qui servent notamment de système infalsifiable pour revendre une œuvre numérique. Alors que les NFT liés à l'art consituent la face visible de cette technologie, Me Pierre-François Rousseau, du cabinet parisien PHI Avocats, en expliquent les droits et les limites.

juridiquement, qu'apporte le nft de nouveau sur le marché de l'art ?

Me Pierre-François Rousseau : «Il faut tout d'abord comprendre comment cela fonctionne techniquement. Lorsqu'une œuvre est vendue, celle-ci est en réalité un fichier qui va être rattaché à un NFT pour ensuite être vendue. Le NFT va venir certifier l'authenticité de celui qui a crée ce fichier. Donc le NFT lui-même ne fait pas l'œuvre. Ce n'est au fond pas vraiment nouveau, ce qui est intéressant c'est que le NFT est finalement considéré comme le certificat signé de l'auteur.

Par exemple, lorsque vous achetez une photo et que son auteur l'a signée, cela lui confère une valeur. Le NFT vient donc certifier de l'authenticité de manière indiscutable. Le cas du Tweet de Jack Dorsey est intéressant [NDR : créateur de Twitter qui a vendu le premier tweet de l'Histoire pour 2,9 millions de dollars], n'importe qui aurait pu copier le tweet en question et le vendre à sa place, mais le fait que ce soit Jack Dorsey lui-même qui l'a mis en en vente et a créé le NFT pour le vendre, lui confère toute sa valeur. Il est facile de reproduire un fichier informatique, mais l'innovation du NFT est de permettre de relier le fichier à son auteur.»

Peut-on considérer qu’on en est vraiment propriétaire ?

Me Rousseau : «Il s'agit du même régime que lorsque vous achetez un tableau de maître par exemple. Si j'achète la Joconde, je peux l'exposer chez moi. Mais je n'en suis pas l'auteur, donc je ne peux pas en faire ce que je veux, puisque le droit d'auteur classique s'applique. C'est à dire que je ne peux pas modifier l'œuvre, ni en faire quelque chose de nouveau. Je ne peux pas dupliquer l'œuvre pour faire de l'argent avec. Par contre, je peux l'exposer dans mon cercle privé et dire que j'en suis le propriétaire et que je dispose de l'original, de l'unique.

On sait également qu'il est possible de faire plusieurs exemplaires numérotés d'une œuvre déclinée sous forme de NFT. Ce qui là encore se rapproche de ce qui peut se faire sur le marché de l'art classique. Le NFT vient donc garantir le lien entre l'auteur original de l'œuvre - si c'est lui qui a fait le NFT -, mais aussi entre la chaîne de propriétaires s'il y en a eu plusieurs. Comme le NFT passe par la blockchain, on sait tracer qui l'a eu à un moment donné. Ce qui est d'ailleurs encore plus avantageux que dans le marché de l'art habituel, là où c'est souvent beaucoup plus opaque. Le système des NFT permet notamment d'éviter les arnaques.»

L’artiste qui a créé l’œuvre conserve-t-il des droits dessus ?

Me Rousseau : «Dans l'hypothèse où l'auteur du NFT est l'auteur de l'œuvre originale, celui-ci peut en faire ce qu'il veut. Il faut savoir qu'il vend juste un support, mais il ne cède pas ses droits sur l'œuvre. Rien ne l'empêche de refaire de refaire un NFT pour la revendre à nouveau. Même s'il faut savoir que cela aura pour effet de faire chuter la valeur de ses travaux puisque ceux-ci perdront leur caractère de rareté. C'est pour cela que certains militent pour dire "Attention, pour que les NFT aient du sens, il faudrait également être cessionnaire de droits afin d'être sûr qu'il ne va pas y avoir de copie, sinon ça n'aurait aucun intérêt". S'il n'y a pas de cession de droit, l'auteur peut donc, en droit français notamment, en faire ce qu'il veut. A savoir : il peut adapter ce qu'il a fait, en créer un nouveau, le reproduire autant de fois qu'il le veut, donner des droits à d'autres pour le reproduire. Donc les droits transférés par le NFT sont en eux-même assez limités.»

Peut-il y avoir des conflits de droit international privé ?

Me Rousseau : «Il faut savoir que la grande majorité des œuvres NFT sont vendues par le biais de la plate-forme Ethereum. L'idée ici est de créer des smart contracts (contrats intelligents), générés sur la blockchain. L'objectif ici est justement de permettre à l'auteur initial de l'œuvre de percevoir un droit de suite. C'est le cas par exemple de Disaster Girl qui a prévu qu'à chaque fois que quelqu'un revendrait son œuvre, elle gagnerait 10 % de cette vente. Ce qui peut être également un moyen pour les auteurs de ne pas multiplier les copies de leurs œuvres, afin d'être sûr de conserver une certaine cote auprès du marché.

Parallèlement, les achats d'œuvres NFT se font généralement par le biais de plates-formes, dans lesquelles il y a aussi des conditions générales de vente avec un droit qui peut-être américain. Toutefois, cela ne signifie pas qu'on ne peut pas appliquer des dispositions d'ordre public du droit français. Si l'on achète un NFT à l'étranger et comme le bien est livré en France, le droit de la consommation pourrait s'appliquer. Il pourrait donc y avoir des conflits de lois qui pourraient se poser. Il n'y pas de vide juridique, mais plutôt un trop plein juridique, car il va y avoir une addition de règles. Quant à savoir dans quel sens cela sera tranché, tout ça dépendra du type de litige.»

Y a-t-il des limites à la revente ?

Me Rousseau : «Ce qui compte est de pouvoir identifier les choses. Pour une maison de vente aux enchères, si l'on passe par elle, les NFT permettent d'authentifier les choses de manière simple. Autre avantage pour la maison de vente, l'idée de pouvoir vérifier instantanément si l'acheteur possède bien les cryptomonnaies pour l'acheter, ce qui limite les risques de folle enchère par exemple (cas où l'enchérisseur n'aurait pas l'argent et où le bien est vendu à l'enchère en dessous).

En outre, il y a des intermédiaires. Si vous êtes seul à créer le NFT l'argent vous reviendra, mais en général on passe par l'intéremédiaire d'une plate-forme, qui peut prendre un petit pourcentage, il y avoir une société qui va se charger de créer le NFT qui elle aussi va prendre une part... C'est en réalité assez peu différent du marché de l'art classique, où il y a souvent de nombreux intermédiaires.»

Quel régime fiscal s'applique ?

Me Rousseau : «Pour le moment l'administration fiscale n'a pas répondu de manière très claire. Par exemple, le bitcoin et les cryptomonnaies ont une reconnaissance légale qui est établie. Mais celle-ci repose sur la fongibilité, dans le cas d'une monnaie on peut la remplacer par une autre, cela ne pose pas de problème. Cependant, un NFT par définition est exactement l'inverse puisqu'il est non-fongible. On ne peut donc pas appliquer aux NFT ce qui a été mis en place pour les bitcoins par le code monétaire et financier.

La question est donc de savoir si on considère les NFT comme de simples certificats et on regarde alors ce sur quoi ils portent, dans le cas des œuvres d'art alors on appliquera le droit qui leur est lié. Il peut alors y avoir de nouveaux cas de figure : doit-on appliquer la TVA à la personne qui vend le bien ? La question de la plus-value qui pourrait être taxée ? Est-ce un actif numérique ? Mais la réponse ici n'est pas simple. Un député a d'ailleurs déposé le 15 avril dernier une question auprès du ministère de l'Economie afin de connaître la qualification juridique et le régime fiscal des NFT mais il n'a pas encore obtenu de réponse.»

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