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Gabriel Yared : «C’est l’émotion qui compte le plus dans un film»

Gabriel Yared a reçu un César en 1993 pour la musique de «L'Amant» et un Oscar en 1997 pour «Le Patient anglais». [© Laurent Koffel] Gabriel Yared a reçu un César en 1993 pour la musique de «L'Amant» et un Oscar en 1997 pour «Le Patient anglais». [© Laurent Koffel]

Le compositeur français d'origine libanaise Gabriel Yared, membre du jury cannois cette année, revient pour CNEWS Matin sur sa carrière et sa vision du cinéma.

Autodidacte venu à la musique de films un peu par hasard, le compositeur Gabriel Yared est l'un des huit membres du jury du 70è Festival de Cannes aux côtés de Will Smith, Fan Bingbing, Agnès Jaoui, Jessica Chastain, Paolo Sorrentino, Maren Ade et Park Chan-wook. Sa carrière l'a mené des deux côtés de l'Atlantique après avoir commencé à écrire pour le cinéma avec le film de Godard «Sauve qui peut (la vie)». Césarisé pour «L'Amant» et couronné d'un Oscar pour «Le Patient anglais», il a mis de côté pour quelques jours sa collaboration avec Xavier Dolan sur son prochain film «The Death and Life of John F. Donovan» pour participer au plus grand festival de cinéma au monde. Impressions à chaud.

Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que vous alliez faire partie du jury du 70è Festival de Cannes?

J’étais fou de joie de l’apprendre. J’ai été beaucoup touché et quelque part intimidé parce que je n’ai pas une grande culture cinématographique. Et Thierry (Frémaux, ndlr) m'a dit qu'il ne s'agissait pas d’avoir une culture, mais de ressentir les films et de donner son sentiment. C’est l’émotion qui compte le plus à la vision d’un film. En ce moment, je travaille avec Xavier Dolan et je ne savais pas comment organiser mon temps. Thierry m’a dit qu’il allait tout organiser pour que je puisse travailler à Cannes si besoin. Et finalement je n’ai pas apporté de matériels avec moi et comme cela je suis à l’entière disposition du Festival.

Comment se sont passés vos premiers jours sur la Croisette?

Je n’ai jamais aussi heureux et excité. J’ai l’impression de pénétrer des univers différents, en plus, venant de réalisateurs que je ne connais pas forcément. Je suis là pour développer toute ma perception des choses. Pas pour juger ou critiquer mais pour embrasser les films dans leur entièreté. Il ne s’agit pas seulement de musique, il s’agit d’une totalité. Jamais, je n’ai évolué par rapport au cinéma en aussi si peu de temps que pendant ces quelques jours.

Êtes-vous un grand cinéphile?

Je travaille beaucoup, avec des réalisateurs très différents mais je ne vais pas beaucoup au cinéma en temps normal. J’étais cinéphile mais maintenant j’ai l’impression qu’il y aura un avant et un après Cannes.

Débattez-vous déjà des films avec les autres jurés?

Il y a une grande harmonie et une grande sérénité entre les membres du jury. Il y a une sorte d’osmose entre les gens. J’espère qu’il y aura de la contradiction, pas de disputes bien sûr, mais des désaccords… Je pense que c’est important de ne pas attendre le dernier jour pour se réunir. A la demande de Pedro (Almodovar, ndlr), nous nous voyons régulièrement, tous les deux ou trois jours. Nous avançons petit à petit pour ne pas tout laisser au dernier mot. Je suis un lève-tôt alors je vais à la projection du matin. Puis je prends des notes. Je me suis rendu compte que le soir, mes impressions sur le film ont déjà changé. Je crois qu'il faut discuter des films tout de suite mais aussi qu’il travaille à l’intérieur. Ainsi, il s'enrichit de ce qu'on a vu après. Pour ma part, j’aime beaucoup le souvenir de l’image. C’est comme ça que je travaille en tant que compositeur. Je ne travaille pas à l’image près. Je regarde une scène une, deux, trois fois jusqu’à ce que je la connaisse et puis je ferme l’écran et j’écris la musique en fonction de mon souvenir de l’image. Le cinéma a intégré tous les arts : la musique, la peinture, le théâtre, la littérature, le mouvement… Je pense qu'on doit laisser résonner les films en soi. Cela demande du temps d'apprécier les choses.

Pourquoi, en tant que compositeur, vous êtes-vous dirigé vers la musique de film?

C’est tout à fait un hasard. Je suis autodidacte au départ. J’ai décidé d’apprendre la musique lorsque j’ai eu 30 ans. J’ai toujours voulu faire de la musique dans une famille où on ne voulait pas que j’en fasse car on voulait que j’aie une profession libérale. Je suis parti à 17 ans au Brésil. Je devais partir quinze jours, j’y suis resté deux ans. Et puis je suis passé par Paris où j’ai eu une carrière d’orchestrateur de variétés. Et je ne sais pas par quel mystère on m’a consacré orchestrateur de Johnny Hallyday et Sylvia Vartan. Après j’ai fait Aznavour, Bécaud, Jonasz, Fugain. Puis, Françoise Hardy, que j’ai produit aussi. Et nous sommes devenu très ami avec son mari et elle. Un jour, Jacques (Dutronc, ndlr) me dit qu’il a parlé de moi à Jean-Luc Godard. En 1979, Godard cherchait un compositeur pour «Sauve qui peut (la vie)» et Jacques nous a présentés. J’ai rencontré Godard dans un bistrot à Saint-Cloud. Il m’a expliqué qu’il voulait des orchestrations tirées d’un opéra de Ponchielli, un vériste de l’époque de Verdi. Et je me souviens lui avoir dit que cela ne m’intéressait pas. Il m'a écrit en me proposant d’en reparler. C’est comme ça que j’ai commencé dans le cinéma. Et quand j’ai demandé à Godard de voir les images, il m’a dit que ce n’était pas nécessaire, qu’il allait me raconter. Quand on me parle de quelque chose, la musique s’éveille en moi. Et cela a perduré dans mes autres collaborations. Par exemple, avec Beineix, la musique de «La lune dans le caniveau» et de «37°2 le matin», a été faite avant le film. Mais ce n’est pas un système, c’est une approche. J’ai besoin de choses qui sont dans le brouillard, qui ne soient pas trop incarnées encore par les images. En quarante ans, j’ai écrit la musique d’une centaine de films. Ce qui n’est pas énorme. A titre d’exemples, Georges Delerue avait fait 600 films, Ennio Morricone à peu près 800 et mes collègues en font trois ou quatre par an. Ce n’est pas que je veuille en faire moins par principe mais je veux passer du temps sur un film.

Cette compétition est un peu spéciale pour vous. «Le Redoutable» parle de Godard et vous allez aussi voir «Rodin» alors que vous avez composé la musique de «Camille Claudel»...

En effet, quelles drôles de coïncidences! Mais il y en a d’autres aussi. Je m’intéresse un peu à l’astrologie et j’ai regardé les dates de naissance des membres du jury. Pedro et Agnès Jaoui sont du même signe que moi. Monica Bellucci aussi. Comme dit le poète, il n’y a pas de hasard il n’y a que des rencontres. D’une part, les rencontres avec le jury et d’autre part avec ces longs métrages qui viennent dans ma vie comme des rappels de mes premiers films. C’est extraordinaire! Je vais regarder «Rodin» avec une virginité totale, sans aucun préjugé. Je sais que j’ai participé à «Camille Claudel» mais je crois que ça n’a rien à voir sur le plan de l’intrigue. Quant à Godard, je suis très curieux de la voir sous les traits de Louis Garrel.

 

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