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La semaine de Philippe Labro : un passé à gommer, un avenir à dessiner

[AFP]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

mercredi 16 décembre

Puisque cette chronique est la dernière avant Noël et le nouvel an (je dis bien «Noël», et pas «les fêtes» !), autant essayer, en quelques mots, de réfléchir à cette «année horrible» qu’aura été 2020. Tout d’abord, que l’on me permette d’aller à l’encontre des confrères américains du magazine Time, qui en ont fait «la pire année de toutes». Formule expéditive, presque facile. Non, ce n’est pas la pire – pour tous ceux qui ont vécu les années de la Seconde Guerre mondiale et de l’Occupation, pour les enfants et petits-enfants des victimes de la Shoah, et pour tous les autres qui sont passés par des épreuves cruelles, en particulier 2015, avec Charlie Hebdo et le Bataclan.  Il y a eu pire.

Hier, au cours d’un déjeuner à l’Elysée avec les représentants de groupes politiques à l’Assemblée nationale, le président Macron a utilisé le terme «funeste» à propos des activités qui ont été arbitrairement identifiées comme «non essentielles» (la culture et la restauration). C’est un adjectif approprié. Il provient du latin «funestus» (qui apporte le malheur). Eh bien, oui, le malheur a prévalu sur le bonheur, en 2020. Mais ne soyons pas naïfs et n’imaginons pas que le fait de passer de 2020 à 2021 changera nos vies. Accrochons-nous cependant à l’espoir – le vaccin, les progrès de la science, une meilleure organisation des choses – et admirons la patience et l’acceptation des règles par une majorité des Français moins indisciplinés que l’on ne le croit. Parmi toutes les pensées qui nous agitent, toutefois, il y a l’évidence de la «funeste» condition des jeunes. La vie amicale, amoureuse, sexuelle, la vie étudiante, celle des rencontres, des découvertes, des distractions, des voyages, des promesses et des surprises, tout ce qui, lorsqu’on a 20 ans, est censé illustrer «le plus bel âge», oui, cette vie-là est invalidée, atrophiée, réduite – et dans le cas de la jeunesse de notre pays, on peut aisément dire que ce fut même une année «horrible». Quels adultes deviendront celles et ceux à qui le virus aura volé leur jeunesse ?

jeudi 17 décembre et vendredi 18 décembre

Que la culture (le cinéma, le théâtre, les concerts) souffre et doive être défendue par tous les moyens est une évidence, une certitude. Il en est une autre : la constance de la lecture et du livre – «essentiels», là aussi. Ce n’est pas nouveau, certes, mais il me plaît de le réaffirmer : la France est un pays «lettré», et le bombardement du numérique, les tablettes et les podcasts, les réseaux sociaux, les séries télé, les innombrables tentations de l’image, le mot bref, l’abréviation de tout, l’«instragramisation», le «tiktokisme», le «tweetering» et le «facebookisme», tout ce qui peut détruire le vocabulaire, rien de tout cela n’empêche la survie et l’influence du livre. C’est le premier cadeau que se font les gens, avant tous les autres.

Je vous en suggère au moins un. Il s’agit du nouvel album de Jean-Jacques Sempé : Garder le cap (éd. Denoël). Sempé a toujours su trouver des titres dans l’air du temps. Ce sont des dessins d’humour inédits – ils étaient parus dans Paris Match, pour la plupart, mais jamais sous forme d’album. On y retrouve la légèreté et la profondeur, la tendresse et l’ironie du dessinateur devenu une célébrité mondiale. Ce qui impressionne chez Sempé, ce ne sont pas seulement la justesse et la finesse du trait de crayon, mais la précision aiguë de ses légendes. Ses textes et ses aphorismes. Son permanent sourire intérieur. Ce dessinateur est aussi un écrivain. (Exposition en ce moment même à la galerie Martine Gossieaux, à Paris). Sa parole convient à 2020 : «Rien n’est simple.» Et elle annonce 2021 : «Garder le cap.» Gardez-le donc ce cap, et vivez, je vous le souhaite, une fin d’année heureuse avec ceux que vous aimez.

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