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Jean-Pierre Jeunet : "T. S. Spivet, c’est moi !"

Jean-Pierre Jeunet.[Jan Thijs]
Par Mis à jour le Publié le

La cité des enfants perdus, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain… Jean-Pierre Jeunet aime mettre en scène un univers enfantin et onirique. Une expérience qu’il prolonge avec l’adaptation du roman de Reif Larsen, L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet aux éditions Nil. A travers l’histoire de ce petit génie qui parcourt seul les Etats-Unis à bord d’un train de marchandises, le cinéaste a retrouvé son âme d’enfant.

 

Comment avez-vous découvert ce roman ?

Je ne voulais pas tourner une histoire originale. Alors je payais un lecteur qui en cherchait une pour moi. Alors que je faisais des réclames en Australie, cet homme m’a envoyé un bouquin qu’il m’a conseillé de lire dès réception. J’ai profité du décalage horaire et de la nuit pour le parcourir. Et j’en suis tombé amoureux à la dixième ligne.

 

En quoi le récit de ce garçon surdoué vous a-t-il séduit ?

Mais ce petit garçon, c’est moi ! Il fabrique ses inventions comme je pouvais, enfant, bricoler des petits bouts de films. Il va chercher des prix et se retrouve, comme moi, très mal à l’aise face aux médias, avides de polémiques et de scandales.

 

A-t-il été facile de convaincre l’auteur Reif Larsen ?

En réalité, Rief Larsen avait constitué une liste de cinq metteurs en scène qu’ils auraient aimé pour adapter son histoire. Quand je l’ai appelé, il était sidéré. Il ne pensait pas que cela pouvait m’intéresser. On a discuté via skype, il m’a montré un bouquin de photos que je venais d’offrir à mes amis, on a échangé environ 90 mails…  Il y a une connivence entre nous. Reif Larsen, c’est Jeunet, il y a trente ans, en version américaine.

 

Comment résumer cette histoire de plus de 400 pages ?

Le livre est foisonnant. J’ai dû faire des choix et modifié la fin par exemple. Un écrivain peut tout se permettre comme imaginer un camping-car sur un wagon. Au cinéma, c’est plus compliqué. L’auteur Reif Larsen m’a fait confiance et n’a pas participé au script. Mais j’ai tenu compte de ses remarques et il a même fait une apparition dans le film.

 

Kyle Catlett qui tient le rôle principal a-t-il été au-delà de vos espérances ?

Il est formidable, malgré une histoire personnelle très lourde. C’est un enfant d’une luminosité fantastique. En quatre mois de tournage, je ne l’ai jamais vu fatigué, grincheux ou frileux. Il voulait faire les cascades lui-même et a un instinct incroyable. Kyle connaissait parfois mieux son personnage que moi.

 

Qu’en est-il de l’actrice Helena Bonham Carter qui joue sa mère à l’écran ?

En lisant l’histoire, je la voyais déjà dans ce rôle. Elle m’a tout simplement dit : « Je suis amoureuse de ton script ».

 

On retrouve aussi au générique votre complice Dominique Pinon qui interprète le rôle de Deux Nuages.

Il me surprend à chaque fois. Comme le plan de tournage changeait sans arrêt, il a failli ne pas pouvoir participer à l’aventure. Finalement, il a réussi à prendre l’avion, a tourné deux nuits et est reparti pour sa première au théâtre à Paris.

 

Quelle a été la plus grande difficulté sur ce tournage ?

Kyle Catlett jouait dans une série aux Etats-Unis. Les Américains n’ont pas voulu adapter son agenda en fonction des deux tournages. Nous n’étions que des petits fromages qui puent ! Kyle était donc obligé de voyager la nuit et de travailler avec nous le week-end. Il y aussi les syndicats en Alberta, province du Canada. Pour cueillir trois fleurs par exemple, vous ne pouvez pas le faire vous-même, il faut engager un jardinier. Même chose quand vous dépassez de deux km/h la vitesse autorisée, vous devez avoir recours à un cascadeur. Enfin, il y a eu la scène du discours où T. S. Spivet se retrouve face à une assemblée…

 

Que s’est-il passé ?

La mère de Kyle Catlett qui est une femme un peu particulière m’a annoncé le jour du tournage que son fils avait fait des cauchemars toute la nuit et n’était pas prêt. Obéissant, le môme s’est mis à tousser. Le lendemain, j’étais terrorisé car tout risquait de tomber à plat. Finalement, en deux prises, c’était dans la boîte.

 

Mais cette expérience outre-Atlantique vous a-t-elle plu ?

Grâce à Internet, on peut faire les repérages sans se déplacer. J’étais ravie de tourner avec d’autres gens et dans d’autres paysages, au Canada. Je suis également très fier de mon casting. Nous avons réussi à nous comprendre. Malgré la barrière de la langue, la musique est la même. Mon niveau d’anglais est pathétique mais j’ai progressé depuis Alien où j’avais un interprète.

 

La 3D s’imposait-elle ?

Il fallait porter à l’écran les dessins présents en marge dans le livre. Dans Amélie Poulain, les effets spéciaux servaient à la narration. La 3D est ici au service de la poésie. Le film a été écrit pour la 3D, j’ai axé le style contemplatif en fonction de cette technique. La 3D que j’utilise pour la première fois m’a toujours fasciné, bien qu’elle soit souvent galvaudée. Môme, je m’amusais déjà avec mon stéréoscope View Master et je trouvais le rendu magique. Donc utiliser la 3D était une vraie envie.

 

Vous avez déclaré être dégoûté de voir votre film « Le fabuleux destin d’Amélie Poulain » adapté en comédie musicale à Brodway.

Cela aurait pu être pire, nous aurions pu avoir une version patinage artistique ! Mais est-ce que j’ai le droit pour des problèmes de conscience de ne pas sauver des mômes ?  Grâce à l’argent récolté par ce spectacle, je vais pouvoir aider l’association « Mécénat Chirurgie Cardiaque ». C’est tout ce qui compte.

 

 

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, de Jean-Pierre Jeunet. En salles le 16 octobre.

 

Jeunet en clôture du festival de Saint-Sébastien 

 
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