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Top Chef et Masterchef, une bénédiction pour les restaurateurs

Jean-Philippe a été éliminé au terme de la sixième semaine de compétition de Top Chef 2013[© julien knaub / M6]

Pour les restaurateurs confrontés à une pénurie de main d'oeuvre, c'est une bénédiction : bouche bée devant Topchef et rêvant d'un destin à la Ducasse, des milliers de prétendants cuisiniers se bousculent aux portes des formations. Au risque de désillusions.

Masterchef, Un dîner presque parfait, Cauchemar en cuisine... Depuis la fin des années 2000, la téléréalité gastronomique s'est taillée une place de choix sur le petit écran et dope les audiences. Les dernières finales de Masterchef (TF1) et Topchef (M6) ont réuni 6,2 et 5,4 millions de téléspectateurs.

Une révolution culturelle qui a permis au jeune chef cathodique Cyril Lignac de reléguer aux oubliettes Maïté et ses recettes roboratives et d'intégrer en 2012 le peloton des 50 personnalités préférées des Français.

Et les vocations suivent : entre 2010 et 2012, le nombre de candidats en bac professionnel restauration a quasiment doublé, passant de 5.350 à 10.400, une tendance à la hausse observée aussi en CAP et BTS.

Dans certaines écoles hôtelières et centres de formation pour apprentis (CFA), "il y plus de candidats que de places, c'est complètement nouveau. On a même lancé un appel aux Régions pour les financer", raconte avec enthousiasme Didier Chenet, président de l'organisation patronale Synhorcat, qui recense 60.000 postes à pourvoir dans le secteur.

Pour son confrère Roland Héguy, président de l'UMIH, les retombées de ces émissions sont "très positives en termes d'image du métier, devenu de l'ingénierie".

Régis Marcon le 22 février 2010 à Deauville [Kenzo Tribouillard / AFP/Archives]
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Régis Marcon le 22 février 2010 à Deauville
 

Le chef triplement étoilé Régis Marcon confirme: "Désormais, des parents de profession libérale ne voient plus d'objection à ce que leur fils fasse de la cuisine".

CFA Médéric, près de Paris. Le directeur Richard Alexandre a reçu 1.200 pré-inscriptions pour 300 places cette année. "Indéniablement, on a des candidats de plus en plus nombreux et de plus en plus motivés, il se passe des choses dans les tête des jeunes", se réjouit-il.

Dans celle de Baptiste Lotti, 17 ans, fils de garagiste, les rêves ont germé très tôt. "Je voulais faire pompier, puis cuisinier. J'ai regardé ma mère et ma grand-mère, et puis les émissions: Topchef, Masterchef, le concours du meilleur ouvrier de France. Cela m'a donné encore plus envie", confie le jeune homme.

"Apprendre le solfège avant de faire un opéra"

Au-delà du nombre, le profil des candidats aussi a changé: plus féminin, plus diplômé, plus âgé.

Bruno de Monte, directeur de l'école parisienne Grégoire-Ferrandi, le relève: "outre l'afflux de candidats (+30% en trois ans), on observe que les formations post-bac et de reconversion pour adultes sont pleines à craquer. On voit aussi arriver des gamines avec d'excellents dossiers, qui auraient pu aller en filière générale", note-t-il.

"Que le déclencheur soit la télé ne me dérange pas, mais on leur rappelle qu'il va falloir apprendre le solfège avant de créer un opéra", explique-t-il.

Ce "fossé entre télé et réalité", Stevy Antoine, enseignant en pâtisserie, le craint. "Ce sont des bébés, on est obligé de leur répéter : +attention, ce n'est pas la télé ici+. Les temps sont durs, on n'est pas super bien payé, on travaille comme un chien parfois. Mais nos métiers sont passionnants", dit-il.

Thierry Marx, pape de la cuisine moléculaire et juré de l'émission Topchef, est lui aussi "méfiant" face au phénomène qu'il a pourtant contribué à créer. Au point de "vite éliminer" les candidats accros à son émission qui se bousculent à son école d'insertion, fondée en 2012 pour former des commis en quelques semaines.

"Je m'interroge sur la longévité de ces vocations, qui ne régleront pas le problème des emplois vacants. Quand le jeune arrive dans la réalité et quitte l'univers fantasmé, l'hécatombe est toujours la même", soupire-t-il.

L'hécatombe? Un taux d'abandon énorme, problème numéro un du secteur. Selon Régis Marcon, 62% des jeunes formés dans le système scolaire quittent le secteur au bout de cinq ans.

Alexandre Noirel, 17 ans, est de ceux-là. Après son CAP, il se réorientera vers le graphisme: "J'aimais bien cuisiner, regarder Robuchon à la télé, mais le rythme, le stress, les horaires compliqués, ce n'est pas pour moi", avoue-t-il.

 

"Des chefs qui tapent encore leurs apprentis"

C'est que malgré quelques avancées patronales en 2009 (mutuelle, jours fériés ...), le métier a toujours mauvaise presse, notamment pour les salaires.

Car si la célébrité des grandes toques "a tiré à la hausse les salaires", qui peuvent "atteindre 4.500 euros bruts pour un chef de bon niveau et 7.000 pour un chef une étoile", selon Alain Jacob, directeur du cabinet de recrutement AJ conseil, le commis de cuisine devra lui se contenter du salaire plancher.

Un constat partagé par Régis Barbier, directeur de la mission locale de Beaune (Côte d'or). "Dans les petits établissements, ce n'est pas le Moyen Age, mais pas loin. Pour certains anciens, l'apprenti, c'est encore le larbin", peste-t-il, dénonçant aussi le détournement de l'apprentissage en main d'oeuvre à bas coût (25% du Smic la première année pour un moins de 18 ans).

"Combien de jeunes rompent car on les a traités comme des chiens, qu'on leur a seulement fait passer la serpillère?", s'énerve Richard Alexandre.

Un ancien salarié de tables étoilées raconte la "violence" qui règne dans les brigades. "Il y a des chefs qui tapent encore leurs apprentis, et qui passent à la télé", affirme-t-il.

"Il y a eu une progression énorme mais même dans les grandes maisons, il y a encore des problèmes de comportement", "il faut aussi voir que la jeunesse est de plus en plus difficile à capter", tempère Régis Marcon. Le chef s'apprête à lancer, sous l'égide du gouvernement, "un permis de former" pour les maîtres d'apprentissage.

Ce dispositif permettra peut-être d'éviter à d'autres le calvaire vécu par Violette Lebourhis, jolie blonde en bac pro. Elle raconte "la pression", "les machos et les pervers" qui lui ont donné "envie d'arrêter".

Son nouveau maître d'apprentissage est "génial". Son nom? Pierre Sang Boyer, une des stars de la 2e saison de Topchef. Ironie du sort, sa jeune apprentie ne l'avait jamais vu à la télé.

 

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