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Des Pierrots pour sauver la nuit parisienne

Des "Pierrots de la nuit" parcourent les rues de Paris, le 22 septembre 2013 [Emilienne Malfatto / AFP/Archives] Des "Pierrots de la nuit" parcourent les rues de Paris, le 22 septembre 2013 [Emilienne Malfatto / AFP/Archives]

Soudain, dans le brouhaha du samedi soir et les volutes de cigarette, les fêtards attablés en terrasse se taisent. Deux robots s'avancent vers eux, nimbés d'un halo de lumière blanche. Certains noceurs croient avoir trop bu, mais d'autres, reconnaissant l'apparition, s'exclament: "voilà les Pierrots!"

Comme tous les vendredis et samedis de mars à novembre, les "Pierrots de la nuit" parcourent les quartiers festifs de la capitale de 23h à 3h du matin. Leur but? Préserver les bars et lieux de vie nocturne des fermetures administratives en incitant les fêtards à respecter le sommeil des riverains.

Depuis le lancement du projet par le réseau MAP (Musiques actuelles de Paris) et la CSCAD (Chambre syndicale des cabarets artistiques et discothèques) fin 2011, treize parcours-interventions ont été mis en place dans huit arrondissements, avec le concours de la Préfecture de police et de la mairie de Paris, qui finance en partie ce projet d'un coût de près de 300.000 euros en 2013.

Ce soir-là, les "robots" Olivia et Antoine, qui font partie de 40 artistes recrutés sur casting, vont sillonner la nuit du Xe arrondissement. Ces deux droïdes en habits blancs parsemés de lumignons effectuent un numéro silencieux pour surprendre et apaiser les noctambules. En face, les noceurs s'étonnent, s'amusent, réclament une photo avec le couple.

Vêtue d'une robe blanche vaporeuse - sa robe de mariée, dans laquelle elle a épousé Antoine il y a quatre mois -, Olivia fait sensation devant les terrasses.

Un peu en retrait, deux médiateurs, Mohamed et Sophie, suivent le duo. Après l'effet de surprise, qui fait baisser le volume sonore en laissant - littéralement - les noceurs bouche bée, ils expliquent l'action des Pierrots.

"Vous nous demandez de baisser le ton, c'est ça?" interrogent certains, méfiants. "On leur explique qu'on défend la nuit parisienne, qu'on est pas la police", raconte Sophie d'une voix enrouée - "heureusement, je dois parler tout bas!".

"L'idée c'est de distiller un message de respect qui va rentrer dans les moeurs", explique Solène Clappe-Corfa, de l'association des Pierrots, "à terme, les Pierrots sont voués à disparaître".

"Un challenge de jouer pour des gens peut-être saouls"

Le message est plus ou moins bien reçu selon les quartiers et le degré d'alcoolémie. "Ici, le quartier est un peu difficile... Ça passe ou ça casse", explique Solène, tandis qu'un fêtard éméché, apercevant Olivia et Antoine, entonne à plein poumons "au clair de la lune".

Un clown issu de la compagnie "Les Pierrots de la nuit" parcourt les rues de Paris, le 22 septembre 2013 [Emilienne Malfatto / AFP]
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Un clown issu de la compagnie "Les Pierrots de la nuit" parcourt les rues de Paris, le 22 septembre 2013
 

Quand "ça casse", quand les noctambules deviennent agressifs ou insistants, Mohamed s'avance, visage souriant mais épaules carrées.

Dans le plus tranquille IIe arrondissement, Rachid supervise seul le parcours de Julie et Elsa, artistes clowns. Affublées de nez et bonnets blancs, elles posent la tête d'un noctambule sur un oreiller, et contre son oreille une petite boîte à musique, qui joue "la vie en rose". Happé par cette parenthèse poétique inattendue, le fêtard ferme les yeux et se laisse aller.

"Travailler dans le silence, ça crée une intimité en plein espace public", explique Julie. "C'est un challenge de jouer pour des gens pas forcément réceptifs, peut-être saouls", ajoute Elsa.

Quand l'alcool est trop présent, le challenge devient impossible. Le médiateur prend alors le pas sur les artistes. "On leur offre une sucette, ça leur occupe au moins la bouche pendant cinq minutes", explique Rachid.

=Les Pierrots, qui font également de la médiation "de jour" auprès des bars, et organisent le dialogue entre riverains, professionnels de la nuit et institutionnels, peuvent-ils vraiment faire baisser le volume? Au cabinet du préfet de police, on reconnaît leur efficacité pour des situations "en deçà des interventions" des services de police, comme des fêtards bruyants lors de la fermeture des bars. Leur action, "ça ne peut être que positif, car la sanction doit être le dernier recours", souligne-t-on encore.

Des "Pierrots de la nuit" parcourent les rues de Paris, le 23 septembre 2013 [Emilienne Malfatto / AFP]
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Des "Pierrots de la nuit" parcourent les rues de Paris, le 23 septembre 2013
 

Mais les Pierrots présentent un autre avantage: "ils diffusent un message à la fois ludique et citoyen", souligne Philippe Ducloux, chargé de la vie nocturne à la mairie de Paris. "Sans eux, on serait dans une démarche uniquement répressive".

"C'est pas crédible, les gens se marrent, alors qu'il faut employer des méthodes fortes", fustige Serge Federbusch, élu UMP du Xe arrondissement. "Si l'humour peut aider à résoudre le problème, pourquoi s'en priver?" rétorque Frantz Steinbach, un des fondateurs des Pierrots. Ils sont un des maillons du dispositif de préservation de la nuit parisienne qui inclut aussi l'élection d'un "maire de la nuit de Paris", prévue cet automne.

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