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L'exit counseling, la recette pour exfiltrer les adeptes d'une secte ?

L'avocat Daniel Picotin présente son "Manifeste" contre les sectes, le 4 octobre 2012 à Bordeaux  [Jean-Pierre Muller / AFP/Archives] L'avocat Daniel Picotin présente son "Manifeste" contre les sectes, le 4 octobre 2012 à Bordeaux [Jean-Pierre Muller / AFP/Archives]

Sortir quelqu'un de l'emprise d'un gourou en cinq minutes après des mois de travail comprenant même des filatures: c'est la méthode dite de "l'exit counseling", importée des Etats-Unis et qui arrive discrètement en France.

 

Selon l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi), il y a au moins 700 sectes en France. Elles font de nombreuses victimes difficiles à sauver, les professionnels s'interdisant toute ingérence au nom de "la liberté de croyance", même si la France dispose depuis 2002 d'une loi qualifiée d'exemplaire, réprimant l'abus de faiblesse de personnes placées en "état de sujétion psychologique".

Beaucoup de familles aussi échouent, note Daniel Picotin, avocat spécialisé dans les dérives sectaires et président d'Info sectes Aquitaine. "Bien intentionnés, les proches vont tenter de raisonner la personne", dit-il en soulignant cependant que "les reproches", fréquents, ont en réalité pour effet de "déifier" le gourou, généralement doté d'une grande capacité d'empathie l'ayant aidé à capter les victimes.

Aux Etats-Unis, dans les années 1970, des familles désespérées avaient recours à la "déprogrammation", un lavage de cerveau controversé.

- une douzaine de dossiers -

Un ancien adepte de la secte Moon, Steven Hassan, a ensuite créé une autre méthode, "l'exit counseling", fondée non sur la contrainte mais le dialogue.

"L'exit counseling", introduit en France par Me Picotin et existant aussi en Italie, a été utilisé notamment avec une partie des "reclus de Monflanquin", une famille de notables du sud-ouest manipulée pendant près de dix ans par un seul homme qui l'a dépossédée de plus de 4,5 millions d'euros.

Christine de Vedrines dont le mari a été victime de manipulation mentale, présente son livre racontant son combat le 29 juin 2013 à Bordeaux [Mehdi Fedouach / AFP/Archives]
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Christine de Vedrines dont le mari a été victime de manipulation mentale, présente son livre racontant son combat le 29 juin 2013 à Bordeaux

"Ma femme avait tenté de m'ouvrir les yeux et je n'ai rien entendu. J'étais tel un zombie", raconte Charles-Henri de Védrines, une des victimes de ce manipulateur, Thierry Tilly, aujourd'hui en prison.

Son épouse, Christine de Védrines, a finalement travaillé avec une "équipe" d'exit counseling, composée de cinq personnes: un détective, deux psychologues, un psychanaliste et un avocat, pendant presque neuf mois. L'équipe, qui refuse tout contact avec la presse, travaille actuellement sur une douzaine de "dossiers".

Son détective doit tout apprendre sur la victime et son gourou, les psychologues sont chargés de déterminer comment "accrocher" la victime après avoir étudié des mémoires complets fournis par la famille sur sa vie, le tout sous la supervision de l'avocat pour que le cadre légal soit respecté. Puis on détermine un jour, un lieu, pour "l'intervention", visant à entrer en contact avec la victime, "qui se monte comme une interpellation dans le milieu judiciaire", raconte un gendarme en contact avec le groupe.

Parfois, l'enjeu peut être lourd et urgent, comme pour cette jeune victime qui avait cessé tout traitement alors qu'elle était atteinte d'un cancer et, faute "d'exfiltration" risquait sa vie.

"Tout le travail d'exit consiste à réaliser des encoches pour percer la couche de fausses informations qui brouille la personne", en faisant par exemple réapparaître "des gens du passé, des souvenirs heureux", explique Me Picotin, en précisant que ce travail peut démarrer par l'envoi de messages ou de lettres.

Un ancien adepte de la secte Moon Steven Hassan, lors d'une conférence de presse à Bordeaux le 29 juin 2013 [Mehdi Fedouach / AFP/Archives]
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Un ancien adepte de la secte Moon Steven Hassan, lors d'une conférence de presse à Bordeaux le 29 juin 2013

"Ils savent appuyer sur le bon bouton au bon moment", témoigne Charles-Henri de Védrines, revenu à la réalité après une "intervention" à Oxford en Grande-Bretagne où il avait suivi Thierry Tilly.

Quand ils sont sous emprise, "les gens vivent des mensonges et des contradictions", explique aussi à l'AFP Steven Hassan: ils sont programmés pour s'interdire les pensées négatives.

Lors de l'intervention, on tente donc de les remettre en contact avec le souvenir enfoui de cette réalité, dit-il. Ensuite, lorsqu'ils ouvrent les yeux, en cinq minutes ou plusieurs heures, ils sont "débriefés", parfois pendant des jours, au cours desquels ils évoquent leur vécu avec un psychologue qui les aide à assimiler.

Le "conseil en sortie" reste très peu connu en France. Il est coûteux (plus de 20.000 euros parfois) car mobilisateur d'une équipe pendant des semaines. Et suscite la méfiance de certaines associations de victimes.

Une spécialiste du sujet, fait part de sa réserve craignant que "l'exit counseling" ne puisse déboucher sur des actions illégales (l'enlèvement de la victime) ce dont se défend l'équipe française. Cette experte critique aussi la mise en oeuvre de techniques de psychologie comportementale "pas toujours efficaces", selon elle.

Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, refuse lui de se prononcer pour ou contre la méthode, mais estime qu'en France les victimes sont souvent trop seules après leur "sortie" et qu'il faudrait des lieux où elles se mettraient à l'abri et leur offrir un "suivi psychologique" pour le redonner "le goût de vivre".

Au sein même de la police, la Cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (CAIMADES) met pour sa part aussi en oeuvre une approche psychologique visant à ramener les victimes à la réalité. "Notre but est qu'elle se rende compte de l'emprise dont elle a été victime. À ce moment-là, l'emprise mentale peut s'effondrer d'elle-même et il peut y avoir un revirement assez important chez la personne entendue", a témoigné sa chef, Aurélie Martin, dans un entretien publié sur le site du ministère de l'Intérieur.

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