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70 ans après, les ex-ennemis de "la poche de Falaise" ont pris racine en Normandie

Photomontage montrant deux vétérans de la Seconde guerre mondiale installés depuis en Normandie, l'Allemand Johannes Börner et le Polonais Edouard Podyma [Mychèle Daniau / AFP/Archives]
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Ils ont vécu tout jeunes dans "la poche de Falaise" l'ultime épisode de la bataille de Normandie, l'un des plus sanglants de la Seconde guerre mondiale. Soixante-dix ans après, les deux anciens ennemis - un Allemand et un Polonais - ont pris racine dans la région.

"C'était vraiment terrible. On est restés trois jours encerclés. On essayait de sortir. On pouvait pas. Ca tirait de partout, des champs, des avions. On avait faim. On pouvait marcher sur les cadavres. La rivière la Dive était parfois rouge du sang des hommes, des chevaux et des vaches", se souvient l'Allemand Johannes Börner, qui fête encore chaque année d'un verre de whisky le jour où il a "échappé à la mort" en étant fait prisonnier, à 19 ans, le 21 août 1944.

Ce parachutiste, dont le cerveau avait été selon ses propres termes "lavé dans les Jeunesses hitlériennes", fait partie des quelque 100.000 Allemands qui se sont retrouvés enfermés à partir du 18 août dans une poche de plusieurs dizaines de kilomètres de périmètre, à cheval sur le Calvados et l'Orne.

Deux mois et demi après le Débarquement, l'épisode pousse pour la première fois Hitler à battre en retraite, mais au prix d'un "carnage" selon les historiens.

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Le vétéran allemand de la Seconde Guerre mondiale Johannes Börner chez lui à Ouistreham, le 15 mai 2014

De l'autre côté du front, le Polonais Edouard Podyma, alors âgé de 21 ans, se retrouve lui aussi "isolé" et "déshydraté" pendant plusieurs jours. Avec 1.500 à 2.000 Polonais, il est à la sortie de la poche, au niveau du "bouchon", sur une colline à Coudehard qui surplombe le "couloir de la mort" par lequel les Allemands réussissent en partie à fuir.

"Quand on a su que c'était des Polonais, on a eu peur", se souvient M. Börner, en référence au risque de représailles pour la violence de l'invasion de la Pologne par les nazis.

- "Les cauchemars reviennent" -

Du haut de ce promontoire de 262 m, à la vue de ce paysage aujourd'hui "merveilleux" où paissent les chevaux, l'ancien tankiste polonais se souvient de la "route obstruée de cadavres", des "hurlements terribles" de soldats réduits à se battre à l'arme blanche par manque de munitions, de l'odeur insupportable de la mort, de la chaleur et du hennissement des chevaux qui signalait une nouvelle offensive allemande dans la nuit.

Le répit vient pour les deux jeunes hommes des Canadiens, qui parviendront à rejoindre les Polonais le 21 août.

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Le vétéran polonais de la Seconde guerre mondiale Edouard Podyma pose devant "la poche de Falaise" le 28 mars 2014

Après avoir vu mourir l'un des siens, criblé de balles par un avion allié, le jeune Polonais, arrivé à l'âge de 8 ans en Normandie, continue à se battre jusqu'en mai 1945 en Allemagne.

Prisonnier, Johannes Börner peut, lui, régulièrement se laver, manger et même fumer. Après la guerre, ce natif de Leipzig ne souhaite pas rejoindre la future Allemagne de l'Est et choisit de rester en Normandie. Il apprend à traire les vaches et bien plus tard, en 1969, il monte avec son épouse française un restaurant sur la côte, à Ouistreham, pris d'assaut par les médias du monde entier en 1994 pour le cinquantième anniversaire du Jour J. Mais "je ne peux plus regarder un film de guerre. Sinon les cauchemars reviennent", confie-t-il. Dans les années 70, son épouse le retrouvait encore parfois debout, en sueur, tremblant au milieu de la nuit.

L'Allemand est devenu français en 1956, le Polonais en 1959.

Démobilisé en 1946, Edouard Podyma a dû aller à Paris pour trouver du travail, avant de devenir soudeur en Normandie jusqu'à sa retraite. Il vit aujourd'hui près de Caen.

Les deux hommes se croisent de temps en temps au fil des commémorations et se saluent en "amis".

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