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Le tir pour la victoire, le pouvoir pour but, par Philippe Labro

Entouré d’une muraille de bruits et de cris, un gardien est l’homme le plus seul au monde. [Icon Sport]

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

Il y a ceux qui ont de la chan­ce : ils partent en vacances, à Noirmoutier, Cavalaire, Capbreton, ou ailleurs. Il y a ceux qui ne partiront pas. C’est plus à elles et à eux qu’il faut penser lorsque juillet se débarrasse de la grisaille pour aller vers la lumière, et lorsque votre chroniqueur prend son congé d’été. Il y a ceux qui resteront dans le gris, même quand il fera soleil.

MERCREDI 6 JUILLET

Michel Rocard, à peine disparu, fait la une de tous ces magazines hebdomadaires qu’on appelle les «news». Comme souvent, lorsqu’une personnalité d’envergure s’en va, une sorte d’unanimité louangeuse se fait, et ceux qui, dans son propre camp, n’avaient cessé de le combattre, entament la litanie des compliments et regrets. C’est la règle. Rocard avait de quoi étonner et irriter ses adversaires. Il lui arrivait d’aller tellement vite dans l’exposé de tel ou tel projet que, au cours d’un débat télévisé, à qui lui posait la question :

– Mais comment allez-vous faire ?

Il répondait :

– On vous enverra une carte postale.

Je l’avais longuement interrogé en 1991, au lendemain de son «renvoi» du poste de Premier ministre par Mitterrand : «J’ai été viré», disait-il – refusant à l’époque, de livrer un seul jugement sur le président de la République. Il devait se rattraper beaucoup plus tard en traitant François Mitterrand «d’incompétent», mettant son honnêteté morale en cause. De son côté, Mitterrand ne dissimula jamais son souverain mépris pour Rocard : «Il est transparent.» On ne mesure pas assez l’intensité de la haine entre ces deux hommes, tellement contraires, tellement différents, dans la pensée, l’éthique ou son manque, le parler, la notion de pouvoir. Au cours de mes entretiens avec Rocard, il me donna, entre autres, une bonne définition du rôle de Premier ministre : «Il faut bien voir, disait-il, que Matignon, c’est très, très dur. Tous les emmerdements débouchent là ! Vous prenez tous les coups. Vous êtes le terminal de la saisine des pouvoirs publics. Stress infernal, quatre-vingts à quatre-vingt-cinq heures de travail par semaine, samedi et dimanche compris, et les nuits, et les dîners impossibles ! C’est un point de passage souhaitable, mais un lieu de naufrage potentiel. Et puis, vous n’êtes pas le patron. Au-dessus de vous, il y a un personnage qui a la charge de dire l’avenir et de tracer les vraies grandes lignes de conduite.»

JEUDI 7 JUILLET

Jour de foot. J’avoue que je me suis laissé séduire et que je ne rate pratiquement jamais un seul match de cet Euro 2016. J’ai tendance à y voir autre chose que du sport. Il y a la cruelle et spectaculaire «séance de tirs au but». C’est cruel, pour un joueur, de louper son tir, au-dessus ou à côté, il s’agenouille presque dans une attitude de quête de pardon – il lève les yeux au ciel –, il se voile le visage. Combien de temps lui faudra-t-il pour oublier ce coup du sort ? Il rumine son amertume. C’est un enfant pris en faute et renvoyé au fond de la classe.

Spectaculaire, pour un gardien, de réussir à contrer un tir. Il a fallu qu’il ait l’intuition de la façon dont le tireur ajusterait son coup, il lui a fallu un œil laser, un peu de chance, beaucoup d’adresse. Entouré d’une muraille de bruits et de cris, il est l’homme le plus seul au monde. S’il a réussi à détourner la balle, le soulagement recouvre son visage. Il ne sourit pas, car il va encore y avoir un ou deux tirs, mais il est habité par une satisfaction intime. C’est un enfant qui vient d’avoir mention très bien au bac. Devant une telle dramaturgie, nous sommes tous, nous aussi, redevenus des enfants. Je vous retrouve à la rentrée. Merci pour votre fidélité. 

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