En direct
A suivre

La semaine de Philippe Labro : des morceaux de vie, une existence en pièces

Tom Wolfe était non seulement un de mes mentors en écriture, mais aussi un ami intime.

Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

MARDI 15 MAI

Il est 17h30 à la librairie Au Dauphin, rue de Bourgogne, l’une des plus vieilles et des plus actives de Paris. Elle n’est pas très vaste, mais contient, dans ses réserves, des milliers d’ouvrages, annotés, avec de petites fiches dépassant des pages. C’est un trésor, cet endroit, et sa responsable, Christiane Teulé, est une de ces femmes dévouées à la bonne littérature, toujours à la découverte. Elle avait, dès sa lecture, immédiatement repéré et fait connaître l’importance et l’immense qualité du chef-d’œuvre de Philippe Lançon dont tout le monde parle en ce moment, Le lambeau (éd. Gallimard).

Par fidélité et loyauté, Lançon, survivant de la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, est venu dédicacer son livre. Je n’ai pas besoin de vous le recommander, il est tout simplement l’ouvrage le plus impressionnant et le plus passionnant paru ces dernières années. Je viens donc à la rencontre de cet homme encore jeune, mâchoire fracassée par les balles des tueurs, dont la survie et la traversée des épreuves (dix-sept opérations chirurgicales, deux ans d’hôpital) constituent la trame de son œuvre, et nous échangeons quelques mots.

Sa modestie et sa courtoisie frappent. On dirait que ce retour à la vie et ce combat courageux ont fait de lui un autre homme que celui qu’il était, lorsque, chroniqueur littéraire à Libération et à Charlie Hebdo, il pénétra dans la salle de rédaction où eut lieu le carnage. Mon portable sonne. On m’apprend la mort de Tom Wolfe. Bouleversé, je bredouille des excuses à Christiane et à Lançon, pour sortir sur le trottoir et encaisser le choc. Tom était non seulement un de mes mentors en écriture, mais aussi un ami intime. Nos familles se rencontraient. Complicité, tendresse, humour. Qui n’a pas lu Le bûcher des vanités ? Qui n’a pas vu l’adaptation au cinéma de L’étoffe des héros ?

On s’est beaucoup arrêté sur son invention (avec trois autres confrères) du «nouveau journalisme» et sur son allure de dandy. Il est vrai que ce natif du sud des Etats-Unis, ce gentleman au sourire et à la voix douce, avait une passion pour la «sape» – je ne l’ai jamais vu autrement que vêtu de l’un de ses cinquante costumes blancs, chaussé de ses brodequins avec guêtres, et cravaté d’un nœud très étroit, entre le col cassé d’une de ses cent chemises, tout cela sur mesure. Mais il ne faut pas se limiter à ces clichés. Il possédait un talent profondément original : la capacité de décrire un univers peuplé de personnages aux prises avec le chaos de la société et de leur propre existence. Plongée dans les milieux les plus divers : celui des pilotes de l’espace, des milliardaires de New York ou des flics de Miami. Wolfe se réclamait de Balzac et de Zola.

Il disait : – Il faut aller sur le terrain, dans la rue, les prisons, les bordels, les universités, les cours de justice, les stades, les places financières, il faut écouter les gens, ils ont tous une histoire à vous raconter, il faut enquêter avant d’écrire.

C’est ainsi qu’il visitera quarante campus pendant plus de deux ans, carnet de notes en main, avant de produire un roman provocateur sur la sexualité des «college girls and boys», dans Moi, Charlotte Simmons. De même, lisez Un homme, un vrai. C’est stupéfiant d’invention, de séquences, de descriptions de la recherche d’un statut.

Ça se passe à San Francisco, puis à Atlanta. Je me dis parfois que c’est plus fort que Le bûcher des vanités. Selon Tom, les hommes et les femmes sont tous et toutes obsédés par l’accès à un statut social : appartenir, être reconnu, exercer un pouvoir. On l’enterre ce vendredi, à Richmond, en Virginie, près de la rivière. Il reposera au côté de son père, à qui il avait dit : – Je serai un écrivain ! Il avait 5 ans.

À suivre aussi

Ailleurs sur le web

Dernières actualités