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La semaine de Philippe Labro : un scénario qui fait mal, un film qui fait du bien

La déroute du XV de France face aux Fidjiens a cruellement mis en exergue un manque d’ambition et d’imagination. [Anne-Christine POUJOULAT / AFP]
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Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour CNEWS, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.

Les gilets jaunes concentrent une très grande partie de l’attention de l’opinion publique et des médias. Tous les journaux télévisés et toutes les chaî­nes d’info en continu ont largement augmenté leurs audiences. Aussi, le chroniqueur éprouve-t-il la tentation de parler d’autre chose, d’aller glaner dans l’actualité ce qui fait, également, et malgré tout, l’air de notre temps. «Les feuilles mortes se ramassent à la pelle» – paroles d’une chanson culte signée Jacques Prévert, poète culte. Tâchons de trier, sarcler, distinguer parmi ces feuilles qui ne sont pas toutes mortes.

VENDREDI 23 NOVEMBRE

Avant-dernière représentation de la pièce de Yasmina Reza, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer, à La Scala Paris, un théâtre habilement rénové. Quatre excellents comédiens. Jérôme Deschamps, Christèle Tual, André Marcon – que j’ai particulièrement aimé – et l’auteur, redevenue actrice, Yasmina Reza, livrent une vision de l’existence, de la douleur et l’ennui, les «meilleurs ennemis du bonheur humain».

Ce qui est passionnant, avec Yasmina Reza, c’est qu’elle est, depuis de longues années, l’auteur français le plus joué et lu dans le monde – ses œuvres sont traduites en plus de trente-cinq langues – et l’une des moins médiatisées. En ce sens, elle rejoint une autre exception : Claude-Michel Schönberg, dont la comédie musicale Les Misérables est jouée au moins une fois par soir, quelque part sur la planète, depuis trente-huit ans. Lui aussi échappe au bourdonnement médiatique parisien. La dimension de leur réussite est égale à la force de leur discrétion.

LUNDI 26 NOVEMBRE

Lendemains tristes pour le tennis et le rugby français. Les larmes de Yannick Noah et la colère rentrée de Guilhem Guirado. Face aux plus forts (les Croates), les tennismen tricolores n’ont rien pu faire. En revanche, face aux Fidji, les rugbymen auraient pu, ou dû, sortir la tête haute. Il leur a manqué ambition et imagination. C’est dommage, mais c’est comme ça : il faut chercher l’exigence. Didier Deschamps le dira dans un entretien au Figaro, quelques jours plus tard : «Je demande de l’exigence, parce que l’on peut toujours faire mieux. Toujours, et dans n’importe quelle situation.»

MERCREDI 28 NOVEMBRE

A l’annonce, lundi, de la mort du cinéaste italien Bernardo Bertolucci, on a consacré beaucoup d’espace à l’auteur du Conformiste, de 1900 ou du Dernier empereur. Mais, bien vite, l’indigne et insupportable façon dont le réalisateur et Marlon Brando ont trahi, violé, humilié une jeune actrice qui ne devait jamais s’en remettre, Maria Schneider (Le dernier tango à Paris), a été relevée par toutes celles et ceux qui considèrent qu’être qualifié de «génie» n’excuse en rien un comportement de porc.

D’abord, le terme «génie» n’est pas applicable à Bertolucci. On galvaude trop ce mot. S’il existe des «génies» au cinéma, ils s’appellent Kubrick, Hitchcock, Renoir ou Fellini. Ensuite, avoir détruit Maria Schneider en lui imposant, sans l’avoir prévenue, la «célèbre» scène de viol du «Tango», puis avoir reconnu cela des décennies plus tard, entache sérieusement l’image de cet homme. L’esthétique ne peut pas exclure l’éthique.

Parmi les sorties de la semaine, j’ai vu Lola et ses frères. Qui ne prétend ni au chef-d’œuvre, ni au génie, mais où l’on savoure des dialogues brillants, des situations drôles, un casting talentueux : José Garcia, Jean-Paul Rouve (auteur et réalisateur du film, avec l’apport du romancier David Foenkinos), Ramzy Bedia (tellement crédible !) et Ludivine Sagnier, dont on redécouvre le beau visage, changeant et émouvant. L’atout majeur de ce film : rendre le quotidien surprenant et vous faire sentir plus léger à la sortie. Ça s’appelle un «feel good movie» – un film qui fait du bien. C’est une recette ? Oui, mais encore faut-il la réussir. 

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