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Chine: au Xinjiang, les Ouïghours démentent être des jihadistes

Une Ouïghoure dans une rue de Hotan le 6 novembre 2013 [Carol Huang / AFP]
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Le récent attentat commis place Tiananmen à Pékin a été imputé par les autorités à des "terroristes" islamistes du Xinjiang soutenus depuis l'étranger. Mais sur place, les habitants mettent en cause la répression culturelle, la corruption et les abus policiers, plutôt que l'apparition d'un "jihadisme" en Chine.

A plus de 3.300 km de la Cité interdite, au bord du désert du Taklamakan, Hotan, ville-oasis poussiéreuse du grand Ouest chinois, est quadrillée par des forces armées en tenue de camouflage et des camions de police.

Sur ses deux millions d'habitants, 96% appartiennent à la minorité musulmane turcophone des Ouïghours, principale ethnie de ces confins chinois en Asie centrale.

Officiellement, les trois Ouïghours morts à bord du 4x4 qui a foncé dans la foule avant d'exploser devant la Cité interdite, le 30 octobre, tuant deux touristes, seraient originaires de Hotan, tout comme cinq autre "terroristes" arrêtés peu après.

Et selon un haut responsable chinois, l'opération aurait reçu le soutien d'un groupe islamiste radical, l'Etim, classé par l'ONU depuis 2002 parmi les organisations terroristes affiliées à Al-Qaïda.

Mais les résidents de Hotan rencontrés par l'AFP doutent de cette thèse qui met en avant un "terrorisme" à motifs religieux pour expliquer l'attaque de Pékin --première du genre-- et la série de violences qui ont agité le Xinjiang cette année.

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Des Ouïghours rassemblent leurs moutons au bazar de Hotan, le 7 novembre 2013

"Les Ouïghours sont en colère, parce que les femmes n'ont pas le droit de porter le voile ou parce que nous devons verser des pots-de-vin aux fonctionnaires locaux pour obtenir quelque chose", a expliqué un médecin d'une trentaine d'années.

Comme les autres habitants interrogés par l'AFP, il a souhaité s'exprimer sous couvert d'anonymat par crainte de représailles.

Les auteurs des violences "ne vont pas à l'étranger" pour se former au terrorisme, assure-t-il. Selon lui, "le véritable problème, c'est qu'ils sont mécontents des responsables politiques de Hotan. Le gouvernement se comporte mal, et c'est à cause de cela que ces idiots réagissent comme ils le font -- provoquant des troubles, se tournant vers la violence".

Pour un autre habitant, le caractère artisanal de l'attaque de Pékin démontre que ses auteurs étaient ni très organisés ni entraînés.

Des analystes et universitaires ont également mis en doute la thèse officielle d'un "groupe islamiste" transnational, soulignant qu'aucune revendication n'a suivi l'attentat.

Et quand le gouvernement vante "le bon développement socio-économique" du Xinjiang, les Ouïghours soulignent la répression dont ils font l'objet, de loin leur première source de mécontentement à leurs yeux.

Ils dénoncent une campagne officielle visant à empêcher les femmes musulmanes de se voiler. "C'est là qu'est le problème. Ils ne respectent pas nos traditions", a commenté un Ouïghour.

"Les gens qu'ils appellent terroristes sont simplement des personnes sans éducation ni culture. Il y des bonnes et des mauvaises personnes partout", dit-il.

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Une Ouïghoure tisse un tapis dans un atelier à Hotan le 7 novembre 2013

A Kashgar, à 500 km de Hotan, 21 personnes sont mortes en avril lors d'affrontements avec la police, provoqués, selon des résidents, par un cadre local qui avait voulu forcer une femme à retirer son voile.

L'agence officielle Chine nouvelle avait qualifié les Ouïghours impliqués de "terroristes" qui "regardent régulièrement des vidéos prônant l'extrémisme religieux" et se réunissent "pour améliorer leurs techniques d'assassinat".

Fin juin, Hotan avait été le théâtre d'une autre violente confrontation entre Ouïghours et forces de l'ordre: des attaques menées par une centaine de "terroristes" à la suite d'"un rassemblement à caractère religieux", selon la presse officielle.

Mais selon des riverains, la foule protestait contre la fermeture provisoire d'une mosquée très fréquentée, certains s'étant armés de pieus pris sur un chantier.

Les communications téléphoniques ont été coupées plusieurs heures et l'Internet plusieurs jours après l'incident.

La police a procédé à des arrestations, dont de simples passants, selon plusieurs témoignages.

"On ne sait pas pourquoi ils ont été détenus, ni même s'ils ont été libérés depuis", a indiqué un jeune homme de 28 ans résidant près de la mosquée -un petit bâtiment de béton aux portails verts cadenassés.

"Les cadres au niveau de la municipalité font absolument ce qu'ils veulent", accuse-t-il.

Pour le directeur d'une fabrique de tapis, "il ne vaut mieux pas trop poser de questions". Dès qu'il y a un incident impliquant des Ouïghours, dit-il, ceux-ci sont immanquablement qualifiés de terroristes.

Plus loin, une femme de Hotan soupire: "Quand on est Ouïghour, si ont dit deux mots à la police, on se fait battre. C'est un des problèmes."

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