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Inégalités : un débat réactivé, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani [REAU ALEXIS / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

 

 

Alors que toute l’Europe peine à retrouver le chemin de la croissance et s’en remet au savoir-faire de Mario Draghi, président de la Banque centrale européenne, voici que ressurgit la question des inégalités. Sur le sujet, le clivage classique oppose une vision conservatrice selon laquelle les inégalités sont indispensables à la croissance – il faut donc baisser les impôts des plus riches et élaguer les charges sociales pour que la machine reparte – et une conception de gauche traditionnelle selon laquelle, à l’inverse, la réduction des inégalités est un moteur de la croissance, et les pays qui ont le plus réduit les écarts de revenus seraient ceux qui se portent le mieux.

Le débat est aussi vif aux Etats-Unis sous l’influence d’un économiste français, Thomas Piketty, qui a montré le fol accroissement des inégalités. Jamais, depuis les années 1920, celles-ci n’avaient été aussi importantes. Ainsi, le patrimoine moyen des 7 % des Américains les plus riches a augmenté pendant la crise financière (2009-2011) de 28 %, quand celui de la majorité des ménages américains a baissé de 4 %. Même si le phénomène est moins accentué en Europe, l’heure est aussi à la concentration croissante du patrimoine. Le débat est alimenté par le Fonds monétaire international (FMI) que l’on n’attendait guère sur le terrain, mais qui s’alarme de ce qui semble être un mouvement général. Ainsi, le FMI observe-t-il qu’il n’y a aucune corrélation entre l’augmentation de la richesse d’un très petit nombre, les plus riches, et d’un bénéfice qu’en retirerait la collectivité en termes de croissance et d’emploi.

La difficulté, pour tenter de trouver le bon chemin, est qu’il faut s’écarter de ces deux visions, trop dogmatiques, et dont l’automatisme supposé ne résiste pas à la complexité croissante de nos économies. Difficulté d’autant plus grande que personne ne connaît ce qui serait «le bon degré» d’inégalités, ce niveau qui permet de favoriser l’innovation et l’investissement, de façon à encourager la croissance et à faire baisser le chômage.

L’autre immense problème est celui du fonctionnement de l’Etat-providence dans nos pays, lequel, in fine, est le meilleur garant de la cohésion sociale. Le creusement des inégalités montre que l’Etat-providence ne fonctionne plus, ou fonctionne moins bien. On connaît le rôle destructeur de l’économie postindustrielle moderne sur les compromis sociaux financés par nos Etats-providence. S’y ajoutent de nouvelles contraintes dont la plus importante est le vieillissement de la population. La grande tâche qui est devant nos gouvernements, plus encore ceux qui se réclament de la gauche, est de repenser l’Etat-providence de façon à lui donner les moyens de résoudre les nouvelles questions sociales.

Sur le plan politique, bien sûr, cette équation est infiniment difficile à résoudre. Comme dans toute transition où le vieux se meurt, mais doit être accompagné, tandis que le neuf peine à émerger, le tout nécessitant d’énormes investissements.

La France offre, si l’on ose dire, un bon exemple de cette problématique. Regardons François Hollande. Il a fait ce qu’il a dit qu’il ferait : il avait promis de réduire les inégalités par la fiscalité, selon un schéma classique à gauche. Il a aligné la fiscalité du capital sur celle du travail, le tout à la hausse, compte tenu de l’état des finances publiques. Ce qui a eu pour effet immédiat de décourager les entrepreneurs et d’engendrer une crise de confiance. La montée des inégalités fragilise les classes moyennes. Lesquelles sont conservatrices et rechignent au changement nécessaire et nécessairement douloureux, au moins dans un premier temps. Voilà bien où se situe aujourd’hui la difficulté, voire l’impossibilité de gouverner avec le soutien populaire qui est indispensable. 

Jean-Marie Colombani

 

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