Philippe Labro est écrivain, cinéaste et journaliste. Chaque vendredi, pour Direct Matin, il commente ce qu'il a vu, vécu et observé pendant la semaine. Un bloc-notes subjectif et libre.
JEUDI 10 MARS
Il mesure 1,80 mètre, pèse 80 kg, et on le surnomme «la bête». Ses rivaux disent de lui qu’il est «imbattable». A 24 ans, il a déjà engrangé un nombre impressionnant de victoires. Et pourtant, il ne fait pas la une de la presse française – laquelle est, comme chacun sait, plutôt hexagonale et toujours prête à célébrer les exploits de ses rares vrais champions. Alexis Pinturault, cela vous dit-il quelque chose ?
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Ce skieur, en l’espace de deux mois, vient de remporter, les uns après les autres, quatre slaloms géants, du Japon à la Slovénie, en passant par la France et l’Autriche. On a tout appris sur la victoire, trop facile, des tennismen en Coupe Davis face à un Canada auquel il manquait ses principaux joueurs – «à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire». Mais de Pinturault, point ! Pourquoi ?
Il a pourtant le physique de l’emploi. Fils d’un Savoyard et d’une Norvégienne, il a hérité de ses parents un œil bleu foncé, un menton volontaire, un sourire modeste, donc charmant, un air de défi dans le port de tête, et, sur les pistes, la force pure, alliée à un sang-froid, un mépris des risques hors normes.
Alors ? Peut-être faudrait-il que cette «bête» égrène quelques phrases que diffusent les réseaux sociaux, mais Pinturault n’est pas un grand adepte du verbe. Il y a des champions qui savent – ou veulent – se taire. Il y en a d’autres dont chaque déclaration fait l’effet d’une mine à fragmentation. Prenez Zlatan, «Ibra le grand», «Ibra 1er».
Voilà qu’il affirme : «Avec tout le respect qu’il faut pour le passé du PSG, je pense que le club est né le jour où le Qatar est arrivé.» Bon, je veux bien, mais que dire de 1986, PSG champion de France, 1996, vainqueur de la Coupe des Coupes ? Que dire de Weah, Ginola, Pauleta, Susic, et tant d’autres valeureux footballeurs ? Ne pas oublier le passé est une exigence.
Il est vrai, cependant, que «King Ibra» parle avec l’autorité d’un individu qui vient, encore une fois, de faire gagner son club contre Chelsea. Pierre Ménès commentera mieux que moi sa performance d’hier soir. Les primaires américaines commenceraient-elles à fasciner, non seulement les médias français, mais l’opinion publique ici ? Je ne cesse d’être interrogé : «Trump ? Trump ? Trump ? Est-ce possible ?»
Eh bien ! oui, c’est possible, le milliardaire aux cheveux peroxydés et à la parole indécente et vulgaire, cet iconoclaste cynique et manipulateur, est en train de renverser la table du vieux parti républicain. Il peut remporter la convention de juillet qui élira le candidat pour la course à la Maison Blanche, face, sans doute à Hillary Clinton. Pourquoi est-ce possible ? Pour des raisons qui, aujourd’hui, sont claires mais que, comme beaucoup, je n’avais pas assez prises en compte :
1- Il satisfait les millions d’insatisfaits, sans diplôme, sans travail, les oubliés du rêve américain.
2- Il est un «showman», un habile utilisateur de cette machine à fabriquer du «buzz» qu’est la télévision – or, dans cette campagne américaine, le spectacle a remplacé et effacé le discours politique classique.
3- Il est l’antidote d’Obama, son contraire. Il arrive souvent qu’on élise l’opposé absolu de celui qui a exercé le pouvoir.
4- Car il y a, derrière chaque meeting de Trump, le parfum nocif du racisme – ceux qui votent Trump n’ont jamais accepté la présence d’un Afro-Américain à la Maison Blanche.
5- Car il existe, et c’est vrai dans beaucoup d’autres démocraties, une tentation d’abattre le «système» des professionnels de la politique.
6- Parce qu’Hillary n’a pas que des amis.
7- Parce que tout peut arriver. On aura l’occasion d’en reparler, encore, ici.