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Europe : un Brexit à l’italienne ?, par Jean-Marie Colombani

Jean-Marie Colombani[Alexis Reau / SIPA]

Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.

Après le Brexit, l’Europe va-t-elle vivre une crise italienne ? Les déclarations véhémentes de Matteo Renzi le laissent penser. Le chef du gouvernement italien parle de «rupture profonde» consécutive au Brexit aggravée, selon lui, par le récent sommet de Bratislava.

Il y a, pour Matteo Renzi, deux sujets qui fâchent. L’un de forme, l’autre de fond. Le premier est l’annonce d’une rencontre, ce mercredi à Berlin, entre Angela Merkel, François Hollande et le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, sans que le chef du gouvernement italien ait été invité. Il s’agit d’un forum annuel qui réunit la fine fleur de l’industrie européenne, consacré cette année (il existe depuis 1983) à l’agenda digital présenté à Bratislava (un projet d’union numérique pour que l’Europe rattrape une partie de son retard sur les Etats-Unis).

Il est vrai que Matteo Renzi a l’obsession de montrer que le couple franco-allemand n’est plus à même de décider sans l’Italie. Il voudrait substituer au couple un triumvirat. Il avait d’ailleurs, après le Brexit, organisé un sommet à trois en Italie pour soumettre ses idées sur la meilleure manière de rebondir.

Le second sujet qui fâche est plus sérieux : les Vingt-Sept, réunis à Bratislava, se sont dotés d’une «feuille de route» destinée à les conduire par étapes jusqu’au sommet solennel de Rome, de mars 2017, pour célébrer le soixantième anniversaire de la naissance de la construction européenne, c’est-à-dire du traité de Rome. Or, cette réunion de Bratislava a laissé de côté la principale revendication italienne : celle de relocaliser dans d’autres pays de l’Union (comme le demande la Commission) une partie des demandeurs d’asile qu’elle a accueillis par dizaines de milliers. Cette relocalisation continue d’être refusée par des pays de l’Europe centrale (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie). D’où la mise entre parenthèses du sujet car l’objectif principal, à Bratislava, était d’afficher un maximum d’unité.

Pour justifiée que soit sa protestation, l’attitude de Matteo Renzi n’en est pas moins une nouvelle illustration du mauvais usage que la plupart des gouvernements ont de l’Europe. En résumé, quand ça va bien, c’est moi. Quand on n’y arrive pas, c’est la faute de Bruxelles.

Matteo Renzi s’est placé lui-même face à un obstacle de taille : il a convoqué un référendum portant notamment sur une réforme du système électoral. Et comme tout référendum, c’est un coup de poker car tous ses adversaires, venant des horizons les plus divers, en font un référendum pour ou contre Matteo Renzi. Lequel a menacé de quitter le pouvoir en cas d’échec.

Or, la principale force d’opposition en Italie est un mouvement populiste, xénophobe et anti-européen (le Mouvement cinq étoiles) qui, malgré différents scandales, bénéficie du vent qui porte tous les mouvements populistes en Europe et au-delà (voir Donald Trump). Cette situation n’est pas sans rappeler celle qu’a créée David Cameron avec son référendum en Grande-Bretagne. L’échec de Matteo Renzi affaiblirait à coup sûr gravement l’Union européenne. Que fait-il exactement ? Face à une difficulté de politique intérieure, il tape sur l’Europe ; tout en se proclamant partisan d’une meilleure Europe. Cette rhétorique, bien connue en France, n’a jamais réussi qu’à légitimer le courant anti-européen.

C’est ainsi que l’on passe sous silence les véritables avancées du sommet de Bratislava : une unité à Vingt-Sept face au Brexit ; la conversion de l’Allemagne à un effort de défense européen avec la mise sur pied de gardes-frontières et de gardes-côtes européens ; le doublement du plan Juncker, qui va passer de 300 milliards d’investissements à 500 milliards ; le renforcement des mécanismes d’une garantie jeune pour lutter contre le chômage.

Jean-Marie Colombani

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